Catégorie : Littérature sentimentale
Auteur : Flora Lune
Résumé : Aël écoutait et observait beaucoup. Elle parlait aussi, mais prononçait peu de mots. C’est pourquoi, qu’on la connût bien ou mal, on lui attribuait, à tort ou à raison, un tempérament réservé. De plus, il était fréquent que sa place en cours fût vide, mais aucun de ses camarades ne pouvait dire pourquoi, bien que de nombreuses hypothèses eussent été formulées à ce sujet. Le plus étrange aux yeux de tous, y compris de certains de ses professeurs, était qu’Aël, malgré ses absences répétées, eût réussi à passer aisément en classe de seconde… alors qu’elle n’avait pas tout à fait treize ans à l’époque. Non, décidément, Aël ne pouvait pas appartenir à ce monde.
Aël (Partie 4)
Elle ne reconnut pas l’homme qui venait la voir, et pour cause : elle ne l’avait encore jamais vu ici. Il était d’une stature assez imposante, et ses cheveux brun clair lui donnaient l’air de porter un casque en permanence, par leur épaisseur et leur longueur. Et il était jeune, beaucoup plus jeune que Bruno. Il ne devait pas avoir trente ans. Lorsqu’il la vit, il eut un mouvement de recul qui surprit Aël. Puis, il ne la regarda plus, ni ne lui adressa la parole pendant de longues minutes. Lorsque enfin il reporta son attention sur elle, sa voix était dure et ses gestes saccadés. Aël ne comprenait pas. Elle se tourna vers Catherine, mais celle-ci se contenta d’un léger signe de tête, accompagné d’un air grave et d’un profond soupir. Lorsqu’il fut sorti, Aël demanda :
– Tu le connais ? Qu’est-ce qu’il a ?
– Il vient d’arriver, répondit Catherine. Je l’ai un peu observé, c’est un homme triste. Et seul aussi, très seul.
– Pourquoi tu ne parles pas avec lui ?
– Parce qu’il ne veut pas. Je ne peux pas le forcer.
Les suivants à rejoindre Aël furent ses parents. Ils restèrent quelques instants, mais, rapidement, la jeune fille eut très envie de dormir. Elle obtint la permission de passer la nuit avec Catherine.
Peu après que ses parents fussent partis, Aël fut de nouveau emportée par le sommeil. On la réveilla quelques heures plus tard, au moment du dîner. La soupe de légumes qu’on lui avait servi coupa entièrement le peu d’appétit qu’elle avait, mais, encouragée par Catherine, et par égard pour la personne qui avait cuisiné, elle se força à manger la moitié de son assiette de riz et de poisson. Elle retourna se coucher presque tout de suite après, et s’endormit de nouveau.
Elle se réveilla d’elle-même environ deux heures plus tard. Le rideau de sa chambre n’avait pas été fermé, et le ciel, à présent complètement dégagé, était comme transpercé d’un milliard de petits points lumineux. Mais, ce qui avait tiré Aël du sommeil, c’était l’imposante sphère d’argent qui répandait son éclat à travers la vitre. À cette vision, Aël se souvint de la première fois où elle avait dormi chez Catherine, dans cette même chambre.
– Que tu as de la chance de pouvoir dormir sous la lune tous les soirs ! lui avait-elle dit d’un ton rêveur.
Catherine avait ri, et elle n’avait pas été la seule. Depuis, Aël avait bien sûr appris que le monde était fait de telle façon que, où qu’elle dormît, elle se trouvait elle aussi sous la lune aussi souvent que Catherine. Cependant, Catherine ne manquait jamais de lui rappeler son adorable erreur d’autrefois, et ce soir-là, elle le fit encore.
Aël ressentit l’envie de sortir marcher un peu. Elle se leva de son lit.
– Tu devrais éviter de sortir maintenant, lui conseilla Catherine. Il est tard, et il fait froid.
– Il n’est pas très tard, objecta Aël, je suis sûre que tout le monde n’est même pas encore couché. Et puis ne t’inquiète pas, je prends mon pull.
– Très bien. Je t’attends ici alors.
Aël passa donc son pull par-dessus son pyjama et sortit. Comme elle le pensait, quelques personnes se trouvaient encore dans les couloirs. Aël les salua, mais très vite, eux aussi regagnèrent leur chambre. Parvenue au bout d’un couloir, elle descendit les escaliers. Mais, plus elle avançait, plus elle réalisait que Catherine avait eu raison. Il faisait froid. Aël frissonna et se frotta machinalement les bras.
Elle ne tarda pas à atteindre la porte du jardin, située au rez-de-chaussée de la maison. Elle n’était pas fermée. Aël put donc sortir librement et s’avancer sur la pelouse fraîchement tondue, d’un vert approfondi par la clarté nocturne. Tout était très calme. Une légère bise agitait les feuilles des arbres qui achevaient peu à peu leur renaissance, et la pluie qui était tombée dans la journée avait laissé dans l’air une odeur de terre humide qu’Aël huma avec délices. C’est dommage qu’il fasse aussi froid, se dit-elle.
Elle se mit doucement en marche. Puis, comme si elle souhaitait accompagner la lente valse des feuilles sur leurs branches, elle commença à fredonner un air qu’elle avait récemment appris, mais dont elle avait oublié les paroles. Du haut de sa voûte, la lune l’observait toujours.
Elle ne fut bientôt plus la seule.