Camarades de classe

Catégorie : 

Aventure/Action

Auteur : 

Lafaille

Résumé :

Un jeune homme revient au village de son enfance pour enterrer sa mère.

Note :

Un texte contre l’intolérance.

Camarades de classe

Adrien est né ici, et il y a passé une grande partie de sa jeunesse. À l’âge de dix-sept ans, il a fui ce village de bord de mer, brisé par la bêtise de ses habitants aux âmes si petites qu’elles auraient pu errer indéfiniment dans le chas d’une aiguille sans se sentir étriquées.

Des injures, des crachats, des croche-pieds, des baffes, puis cette fois de trop où Adrien a failli y perdre la vie, tant ses camarades l’avaient roué de coups. Après une semaine d’hospitalisation, le cœur meurtri par cette haine abjecte, le corps abîmé, Adrien a décidé de partir sur le champ, malgré le discours insistant de sa mère.

Dans son malheur, il a eu de la chance, il n’est resté que deux jours dehors sans trop souffrir du froid, à cette époque de l’année, l’air était encore doux. Il a eu faim. Il a tenté le stop et est monté à Paris avec un jeune homme à peine plus âgé que lui, qui lui a prêté main-forte. Il lui a donné à manger, il l’a hébergé quelques temps chez lui, et lui a même proposé un travail comme serveur au restaurant où il travaillait. Adrien a accepté. Adrien était de nouveau libre.

Peut-il en vouloir Adrien à ses camarades, ces graines d’adultes abattues par le chômage de leurs pères épuisés, absents, alcooliques, violents ? Des années de labeur, le dos courbé à la chaîne des usines avec pour unique plaisir en fin de journée, la boisson avec les copains. Et cette vie durant vingt, trente, quarante ans, se lever, s’épuiser, se lamenter, boire, frapper sa femme, battre ses enfants jusqu’à ce qu’ils déguerpissent loin de vous.

Adrien était devenu leur bouc-émissaire, leur punching-ball, leur seul alibi leur permettant de devenir un groupe d’amis. Il faut bien que quelqu’un paie. Et quelqu’un a payé.

L’humanité semble ainsi faite qu’il est impossible pour un enfant d’exister sans recevoir une part d’amour, si petite soit-elle. Adrien a répondu finalement à ce manque d’amour, sans le savoir, il a permis à ses camarades de grandir et de devenir plus fort ensemble face aux atrocités de la vie jusqu’à ce qu’il parte pour sauver sa peau.

Nous sommes en été, tel un cliché s’avérant vrai, il fait beau, les oiseaux chantent et Adrien est revenu à Boris-les-Bains pour enterrer sa mère. Les enfants sont devenus adultes.

Le chômage a grimpé, la violence aussi, la boisson est toujours le moyen le plus sûr pour se divertir. Ici, nous sommes alcooliques de père en fils et de mère en fille, quand on a la chance d’avoir des parents.

Adrien n’est pas alcoolique, sa mère ne l’était pas, et son père, il ne le connaissait pas, parti trop jeune d’un cancer du fumeur. Beaucoup d’enfants nés ici sont morts ou ont fui, se sauvant comme l’a fait Adrien pour sauver leur vie.

Dans un recoin du bistrot où il s’est posé en attendant la cérémonie, Adrien va bientôt reconnaître deux gamins qui autrefois l’avaient envoyé à l’hôpital. Il va préférer les ignorer, cherchant dans son sac en bandoulière un carnet et un stylo, griffonnant quelques mots tout en buvant un café, évitant d’attirer leur attention.

Mais il est déjà trop tard, et lorsqu’il va se lever pour commander un autre café, cela fera bien longtemps déjà qu’ils l’avaient repéré, lui, le bizarre, le pas normal.
Il entendra les rires gras des hommes gras, les tapes puissantes de la main dans le dos, les claquements de verre, la bonhomie apparente du lieu cachant les pires insanités.

Le barman lui refusera de le servir et tous crieront à l’unisson : Dégage de là sale pédale !

FIN

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