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Quand les mondes de la Terre et de la Lune se télescopent…
Clair de lune (Partie 2)
Lili dut se reprendre. Qu’allait-elle faire, pour la représentation du soir ? Son metteur en scène avait modernisé les costumes de Dom Juan, et elle devait apparaître en mini-jupe… Elle eut un gros soupir, et accepta l’invite. Elle marcha tant bien que mal jusqu’à la pharmacie, non sans s’être essuyé la jambe au préalable, avec un mouchoir en papier.
– Ça va aller, madame ? Tenez, je vais vous donner mon numéro de téléphone. Vous devez avoir mon âge…
– J’ai trente-neuf ans.
– Ah ? Vous ne les faites pas. J’ai trente-deux ans… Je m’appelle Olivia.
Et elle griffonna son nom, son numéro sur une feuille de carnet, tandis que le pharmacien sortait de derrière son comptoir pour soigner Lili.
Elle sortit de là dix minutes plus tard, avec un énorme pansement, et la mine inquiète pour son rôle. C’était sûr, le metteur en scène ne serait pas content. Elle pensait, en plus, au baiser qu’Amir n’avait pas eu le temps de lui donner… « Il ne faut pas que je reparte dans la lune », se dit-elle, et ses yeux s’embuèrent, ne sachant si elle reverrait le bel Amir. Lili eut un gros soupir, à cette évocation, et décida de prendre un quart d’heure pour boire un coup dans le premier bar venu. En s’y rendant, elle eut l’impression que tout à coup, on la regardait, mais à cause de son genou. Mal à l’aise, ce fut une bière, qu’elle but.
– Qu’est-ce que c’est que ce truc ? s’exclama le metteur en scène en voyant arriver Lili un peu plus tard.
– Je me suis blessée en venant, je suis tombée…
– Avant une représentation ?! Mais enfin mademoiselle Lacour, vous ne pouvez pas monter sur scène ainsi !
Comme Lili s’y attendait, il n’était vraiment pas content, et elle fit profil bas.
– En plus, vous avez LE rôle féminin !
– Laisse-la, Paul, lui dit l’acteur qui jouait Dom Juan. Il y a sûrement une solution. Viens Lili, allons voir la costumière. Elle saura sûrement quoi faire.
– Merci, Daniel, souffla l’interpellée.
Lili fut encore plus contrariée, en constatant que la seule solution envisageable était de porter des collants. Noirs, de surcroît. Couleur chair, les spectateurs auraient vu le pansement, avait jugé la costumière.
– Je suis désolé, dit Daniel à Lili, chacun fait ce qu’il peut… Pour draguer Dom Juan, il faut être parfait…
– Je sais bien que je ne suis pas parfaite, avec mes rondeurs. Mais des collants opaques en cette saison…
– Paul appréciera… Bon, allons mettre les choses au point…
Lili en avait gros sur le cœur. Alors elle se concentra sur son texte, d’autant qu’en coulisses, il faisait déjà très chaud. Et elle était censée être à l’aise sur scène. Elle résolut d’agir avec Dom Juan comme elle aurait voulu le faire avec Amir. Et elle s’abîma dans son rôle, tâchant de ne penser qu’à cela, sentant néanmoins la moiteur de ses cuisses, et sa blessure lui faisant encore mal. Aussi faisait-elle comme si de rien n’était avec naturel, d’autant plus que le rôle la faisait supplier Dom Juan de s’amender. Sa dernière réplique une fois dite, dès la fin du quatrième acte, elle s’octroya du repos en coulisses, pour enlever ses collants et voir ses collègues aller et venir. Elle ne reparaîtrait qu’au baisser final du rideau, et se reprit tout d’abord en buvant un grand verre d’eau. Peu après, avant le cinquième acte, Daniel revint la voir, pour demander comment ça allait.
– Tu as enlevé tes collants…
– Je les remettrai pour reparaître… sinon, je vais me faire incendier. Mais on crève de chaud, ici.
– Je te comprends. Mes félicitations, tu as été parfaite. Tes larmes ne semblaient pas feintes… Il faut vraiment être un vrai Dom Juan, pour ne pas se laisser attendrir.
– J’étais dans mon rôle. Et toi aussi, je crois ?
– Oui, c’est vrai. Heureusement, la scène est un autre monde…
Ils se regardèrent en souriant. Lili ne songeait plus à sa promenade avec Michel.
– Ne reste pas loin, quand je tomberai en Enfer. Aie mis tes collants juste avant.
– Merci du conseil.
Daniel eut un regard vers le genou de Lili : il y avait encore un peu de sang visible sur le pansement.
– Tu ne t’es pas ratée, commenta-t-il.
– Un petit con est passé en trottinette alors que je pensais à autre chose… et le trottoir était mal fichu.
– Excuse-moi, je t’embête.
Lili sourit encore.
– Ça ne fait rien.