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Résumé :
Pour lutter contre les effets néfastes du réchauffement climatique, tous les États du monde se sont unis. Les cultures nationalistes, les différents langages et les traditions locales disparaissent au profit d’un objectif commun, d’un système mondial garant de la bonne santé de la planète. Tout a été harmonisé, jusqu’aux personnalités des individus. Bénédicte, une jeune adolescente qui se cherche, ne parvient pas à se fondre dans la masse. Accompagnée de sa vielle à roue fétiche, elle espère redonner vie aux musiques traditionnelles et trouver sa place dans un monde qu’elle ne comprend pas. Y parviendra-t-elle ?
D’un commun accord (Partie 3)
Après le déluge qui avait causé leur mort, Nice s’était relevée, une fois de plus, et de nouvelles fondations avaient été construites un peu plus haut dans les montagnes, empêchant certains villages de rester isolés et permettant aux plus soucieux de s’éloigner de la mer terrifiante. Si les côtes se faisaient de nouveau envahir par les eaux montantes, peut-être pourrions-nous simplement déménager dans les hauteurs ? Je portais Nice dans mon cœur, j’aimais cette ville. Elle me rappelait mes parents.
Mon grand-père continuait son discours alarmiste mais je ne l’entendais plus. Mon cœur s’était mis à tambouriner fort dans ma poitrine.
— Mais je ne veux pas quitter Nice ! le coupai-je, prise d’une crise d’angoisse. Qui te dit que les prévisions ne se trompent pas ? Et nous pourrions déménager dans les monta…
— Bénédicte, ne discute pas ! Je ne te demande pas ton avis, continua-t-il en me mettant la page météo du journal sous le nez, pour que je constate la mise en garde du gouvernement. Même les montagnes ne sont plus sûres face à ces tempêtes. Nous irons retrouver tes cousins à Lyon. J’aimerais que la famille se regroupe, reste unie.
Je me fichais complètement de mes cousins. Je ne les connaissais même pas.
Je lui pris la page des mains et mes yeux se posèrent sur le bulletin de la fin du mois. Les journalistes annonçaient de fortes pluies, trois mois de précipitations en seulement quelques heures, suivies d’une tempête avec des vents qui atteindraient plus de cent cinquante kilomètres à l’heure. Mes doigts tremblaient. Mes parents avaient choisi de m’élever ici. Je ne voulais pas quitter Nice, son beau soleil, ses couleurs, sa promenade – sans cesse en train de remonter sur les terres –, et ses expositions de communs-arts.
— Peu importe la ville où nous vivrons. Une ville est une ville. Lyon n’est pas différente de Nice, elle possè…
— Non ! m’exclamai-je sous le choc, les yeux rivés sur l’un des autres articles de la page.
Je laissai tomber le journal sur mon assiette, dépitée, et fis crisser ma chaise. Je n’avais plus faim et j’en avais assez entendu. Mon grand-père me regarda m’éloigner sans dire un mot. Une fois dans ma chambre, je claquai violemment la porte et m’effondrai sur mon lit, en pleurs.
La ville de Nice voulait profiter des prochaines intempéries pour reconstruire certains bâtiments, et les remodeler selon les critères de la commune-architecture. Tout ne serait plus que gris, paysage terne et vision froide. Nice perdrait son identité, ce qui faisait d’elle une magnifique cité du sud aux fresques chatoyantes, un endroit de magie et de voyages, qui avait survécu à de nombreux cataclysmes. Nice ne serait plus qu’une ville comme une autre. Un nom parmi tant d’autres. « Peu importe la ville. Une ville est une ville ». Les paroles de mon grand-père me revinrent en mémoire. Je n’y avais pas prêté attention mais avais dû les entendre inconsciemment. Comment pouvait-il croire une chose pareille ?
Je me redressai et me pris la tête dans les mains. Je devais me calmer. Je me levai et m’assis à mon bureau. Je posai ma main sur le globe terrestre qui trônait fièrement au centre de ma table de travail. Je me détendais régulièrement en m’imaginant parcourir le monde d’autrefois, les territoires qui peuplaient mes livres d’Histoire, ces terres variées aux cultures toutes plus riches les unes que les autres, qui vous dépaysaient, vous étonnaient ou vous rebutaient. La Terre d’aujourd’hui ne souhaitait plus que nous rêvions ; seule la survie de la planète comptait.
— Je reviens, je dois aller faire quelques courses, me dit mon grand-père à travers la porte. Ne sois surtout pas en retard en cours. À tout à l’heure.
J’avais au moins la chance d’avoir un grand-père compréhensif, qui ne me dérangeait pas quand j’avais besoin de solitude. Les larmes redoublèrent quand mes yeux se posèrent sur la seule photo que j’avais pu récupérer de mes parents. Leurs esprits resteraient-ils auprès de moi si je m’éloignais d’ici ? En proie à mes pires démons, je me relevai, poussai violemment ma chaise qui bascula, pris mon globe terrestre à bras le corps, et le balançai de toutes mes forces contre l’un des murs de ma chambre. Je profitai de l’absence de mon grand-père pour déverser ma rage et ma tristesse dans un cri aigu qui épuisa mes dernières réserves. J’espérais ne pas avoir alarmé le voisinage. Personne ne criait jamais. Personne ne faisait jamais aucun bruit.
Je m’effondrai sur le sol, essoufflée. Lorsque je relevai les yeux, je restai bouche bée devant le carnage que j’avais perpétré. Mon globe s’était brisé, tout comme une partie du mur dont la tapisserie pendait désormais tristement sur le sol. Étonnée par ma force, je m’approchai du pan cassé et découvris de nombreux débris de bois. Les murs n’étaient-ils pas censés être composés de plâtre ou de béton ?