
Catégorie :
Auteur :
Résumé :
Pour lutter contre les effets néfastes du réchauffement climatique, tous les États du monde se sont unis. Les cultures nationalistes, les différents langages et les traditions locales disparaissent au profit d’un objectif commun, d’un système mondial garant de la bonne santé de la planète. Tout a été harmonisé, jusqu’aux personnalités des individus. Bénédicte, une jeune adolescente qui se cherche, ne parvient pas à se fondre dans la masse. Accompagnée de sa vielle à roue fétiche, elle espère redonner vie aux musiques traditionnelles et trouver sa place dans un monde qu’elle ne comprend pas. Y parviendra-t-elle ?
D’un commun accord (Partie 4)
J’arrêtai de pleurer tant la situation m’intriguait. J’adorais les énigmes et en oubliai notre déménagement prochain. Plus je déblayais, plus j’avançais et la lumière se fit enfin. J’aperçus un trou dans le mur. Les planches de bois marquaient l’entrée d’une cachette secrète ! Sous le choc de cette découverte, j’entrepris d’arracher à mains nues les quelques bouts de bois qui empêchaient ma silhouette de pénétrer dans le creux.
— Mince !
Je me rappelai soudain que je devais aller en cours. Bien que je ne veuille pas y retourner, je ne désirais pas énerver davantage mon grand-père. Je me dépêchai de me relever, tout en ôtant la poussière de mon jean. Comment pouvais-je masquer les dégâts ? Je poussai les débris dans un coin, tout en ressentant un petit pincement au cœur à la vue de mon globe brisé, et plaçai devant l’ouverture tout ce qui se trouvait à portée : chaise, pile de magazines, pupitre, couvertures, vêtements… Le résultat n’était pas probant. J’espérais que cela suffirait. J’inventerais bien quelque chose pour que mon grand-père ne fouine pas dans mes affaires.
**
Le dîner se déroula sans incident, même si mon grand-père remarqua que je n’arrêtais pas de tapoter du pied ou de gigoter sur ma chaise. J’avais hâte de découvrir ce qui se cachait dans le creux du mur de ma chambre. J’inventai une excuse et lui confiai que je stressais et m’inquiétais à propos de notre déménagement à venir. Il sembla me croire et s’installa devant le journal du soir, qui présentait les dernières inventions robotiques fabriquées afin de contrer la montée des eaux et le dérèglement climatique. Contrairement à ce que nous avait expliqué notre professeur cet après-midi-là, notre journal du soir n’avait plus rien à voir avec celui de l’ancienne ère, qui s’intéressait davantage aux faits divers violents, ou aux conflits armés. Depuis 2100, les guerres n’existaient plus. La paix régnait. Un point positif pour ce futur moins savoureux.
Je m’éclipsai dans ma chambre et me précipitai vers le creux. Je déplaçai toutes mes affaires, en essayant de ne pas faire de bruit. Après plusieurs minutes d’effort, je me fis la plus mince possible pour m’insérer entre les planches. Par chance, j’étais assez petite pour tenir debout dans la cavité. Plusieurs cartons, empilés les uns sur les autres, m’accueillirent en silence. Je me positionnai à genoux et commençai à les déballer, excitée comme une puce, étalant autour de moi tous les papiers que je trouvais. Je n’avais jamais eu autant de papier dans les mains et me pris à poser mon nez sur les feuilles pour pleinement goûter à l’odeur exquise qu’elles dégageaient.
Je continuai mes fouilles. Je reconnus quelques clichés de la ville non datés, des relevés médicaux, des rapports épais aux titres à rallonge et aux mots compliqués, et butai sur l’une des photos. Mon père enlaçait tendrement ma mère, et lui rendait son sourire. Ils paraissaient heureux. Ainsi, les cartons leur appartenaient. Une émotion intense m’envahit et je restai quelques instants immobile à fixer ce souvenir hors du temps.
Je décidai de garder la photo et la mis de côté. Après avoir retiré un énième dossier papier qui pesait son poids, j’aperçus une écriture qui m’était bien plus familière : une partition ! Je n’en croyais pas mes yeux. Mes parents jouaient-ils de la musique ? Ma grand-mère avait été une grande musicienne en son temps et j’avais hérité de son instrument, alors peut-être avait-elle transmis le don à ma mère ? Je ne m’étais jamais posé la question auparavant.
Le rythme ne me disait rien. La musicalité et les notes de ce morceau variaient selon des schémas que je n’aurais jamais cru possibles. Simple, efficace, je m’étonnai à le fredonner et à m’imaginer le jouant sur ma vielle. Mes mains me démangeaient. Je rangeai tout le bazar causé par ma curiosité maladive, camouflai de nouveau le creux dans le mur et allai chercher mon instrument.
Je m’installai confortablement sur ma chaise, après m’être assurée de bien avoir laissé la porte de ma chambre ouverte – mon grand-père adorait le son de cet instrument. De plus, je désirais me comporter comme d’habitude et m’excuser aussi pour mon comportement. J’accordai ma vielle et déposai ma nouvelle trouvaille sur mon pupitre électronique que je n’allumai pas. Les partitions sur papier n’existaient plus depuis longtemps.
J’avais du mal à lire le titre, dont les mots, syllabes et accents ne correspondaient à aucune des formes du commun-langage. Une annotation sur le côté indiquait que la langue utilisée correspondait à du niçois. Du niçois ! Je ne savais même pas que la ville d’autrefois possédait sa propre langue. La nouvelle me coupa le souffle et m’émerveilla.
Les premières notes s’élevèrent, chaleureuses, entêtantes. Je dus m’y reprendre à plusieurs reprises pour maîtriser parfaitement la première partie, avant d’y ajouter quelques coups de trois qui me paraissaient appropriés. Le calme envahit mon esprit et je me laissai transporter par la musique.