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Résumé :
Pour lutter contre les effets néfastes du réchauffement climatique, tous les États du monde se sont unis. Les cultures nationalistes, les différents langages et les traditions locales disparaissent au profit d’un objectif commun, d’un système mondial garant de la bonne santé de la planète. Tout a été harmonisé, jusqu’aux personnalités des individus. Bénédicte, une jeune adolescente qui se cherche, ne parvient pas à se fondre dans la masse. Accompagnée de sa vielle à roue fétiche, elle espère redonner vie aux musiques traditionnelles et trouver sa place dans un monde qu’elle ne comprend pas. Y parviendra-t-elle ?
D’un commun accord (Partie 5)
— Je reconnais ce morceau.
Mon grand-père m’observait, pensif, les yeux dans le vague, à l’entrée de ma chambre. Je ne lui avais jamais vu cette expression étrange.
— Ailà n’aquèu jardin, continua-t-il. C’est le titre. Des images me reviennent.
Je m’arrêtai, et le contemplai d’un air ahuri. Mon grand-père parlait-il le niçois ? Soudain, ses yeux se révulsèrent et il perdit l’équilibre. Je détachai ma sangle en vitesse et allai l’aider alors qu’il s’affalait sur le sol.
— Grand-père, tu vas bien ? Grand-père ? Pitié ! hurlai-je alors que je le secouai dans tous les sens.
— Je… vais bien, réussit-il enfin à me dire après plusieurs secondes d’angoisse.
— Que s’est-il passé ? demandai-je, soucieuse.
— Un coup de fatigue. Ne t’inquiète pas, je vais bien maintenant, me dit-il en me souriant et en caressant mes cheveux bruns avec tendresse. Aide-moi à me relever s’il te plaît.
Une fois debout, je l’accompagnai jusqu’à sa chambre. Il s’assit sur son lit et but une gorgée d’eau.
— Quel morceau jouais-tu donc ?
Sa question m’étonna. Sa perte de connaissance lui avait-elle fait oublier certains éléments d’avant sa chute ? Mon cerveau se mit à réfléchir à toute vitesse.
— Le morceau numéro sept du répertoire de commun-médiéval, mentis-je effrontément.
— Tu t’en sors très bien. Ta grand-mère serait fière de toi.
— Merci, grand-père, dis-je, touchée par le compliment. Je te souhaite une bonne nuit. N’hésite pas à m’appeler si quelque chose ne va pas.
— Bonne nuit, Bénédicte.
Je le laissai seul et retournai dans ma chambre après avoir éteint la télévision et les lumières du salon. « Des images me reviennent ». Qu’avait-il voulu dire par là ? Je me rongeai quelques instants les ongles et les sangs, méditant sur ce qui venait de se passer. Se pourrait-il que jouer un morceau non autorisé puisse causer de tels traumatismes sur les personnes qui écoutaient ? Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ?
Ne trouvant aucune réponse plausible à mes interrogations, je décidai d’explorer de nouveau le creux dans le mur pour me changer les idées.
Je me mis à fouiller avec plus d’énergie et me positionnai en tailleur pour feuilleter les documents que je venais de déterrer. J’avais reconnu le nom des auteurs. Mes parents avaient apparemment été des chercheurs actifs et renommés dans le domaine de la génétique. Une larme s’échappa de mes yeux. J’étais si fière d’eux.
Mes connaissances scientifiques commençaient à peine à fleurir, alors je ne saisissais pas tous les termes. Pourtant, le peu que je comprenais me pétrifiait. Alors que je tournais l’une des pages, je découvris une enveloppe portant mon prénom. Mon cœur se mit à battre plus fort tandis que je l’ouvris. J’en sortis une lettre écrite d’une écriture élégante, ainsi qu’un rectangle blanc translucide sur lequel étaient gravées mes initiales. Se pouvait-il que ce soit de cet objet dont parlaient les différents dossiers ? Ils appelaient cela « une puce ».
Le message écrit à mon intention par mes parents me perturba. Bien que les révélations soient dignes de films de science-fiction, j’y croyais. Mon côté rebelle n’avait rien d’anormal. Au plus profond de moi, une boule de stress se désamorçait, et une autre, d’un tout autre type, se créait. Je commençais enfin à comprendre.
J’approchai la minuscule puce électronique devant mes yeux. Celle-ci se constituait d’un mécanisme que le gouvernement transplantait dans l’esprit des citoyens dissidents, ceux qui ne voulaient pas penser au bien commun et qui se montraient égoïstes. Mes parents avaient empêché les médecins de me l’implanter, alors que j’étais enfant, et avaient débuté une campagne contre le gouvernement en l’accusant de vouloir créer des moutons dociles et sans émotion. Ils m’avaient légué leurs recherches, leurs espoirs.
Pourtant, de nombreuses questions se bousculaient dans ma tête. Comment avaient-ils deviné que je finirais par trouver leur cachette ? Comment pouvaient-ils croire que je voudrais continuer leur combat ? Les derniers mots de leur lettre clignotèrent dans mon esprit : « Tu es la seule qui puisse poursuivre notre bataille. Avale la puce et ne sois plus seulement une fleur parmi les mauvaises herbes ». La violence de ces propos me percuta de plein fouet. Ils ne me laissaient pas vraiment le choix. Que devais-je faire ? Je n’en avais pas la moindre idée.