Greg (Partie 2)

Greg

Catégorie : Fantastique/Merveilleux

Auteur : Françoise

Résumé : Une promenade au parc devient une remise en question de la notion de temps qui passe pour cet homme banal, Greg.

Greg (Partie 2)

Machinalement, pour me donner une contenance, j’attrape une publicité que je plie consciencieusement. Le marchand a vite fait de se coller à moi. Sa taille de nain me force à sourire. Il me fait l’article répandant une haleine de phoque qui me donne envie de vomir. Sa nouvelle collection de casquettes anglaises, ses parapluies d’une robustesse à toute épreuve… Tout y passe. Je le remercie, lui fait remarquer que la pluie a cessé. Je fourre dans ma poche le prospectus et me dirige vers la sortie. La porte émet un petit tintement lorsque je la referme derrière moi, bien content d’échapper au regard indécent du vendeur. Il me reluque avec insistance. Je n’arrive pas à analyser pourquoi. Peut-être de la jalousie. Comparé à lui, je suis jeune et je peux remporter le prix de l’élégance haut la main. Ses vêtements sentant le renfermé sont si élimés qu’ils semblent sortir des poubelles. J’éprouve un vif soulagement en m’éloignant de cet individu repoussant.

*

Devant la porte de mon immeuble qui d’habitude reste fermée jusqu’à ce que j’entre mon code, j’assiste à une aberration. Déjà, l’ouverture habituelle en panneaux de verre coulissants s’est transformée en une surface opaque d’une matière ressemblant à du bois vernissé qui s’effrite. Ensuite, une poignée me nargue. J’essaie de l’actionner en vain. Heureusement, il ne pleut plus. Désespéré, je décide d’appeler la société qui gère le parc locatif. Le numéro demandé n’est pas attribué ! Je ne comprends pas et commence à observer autour de moi. Mon environnement familier ne correspond pas au souvenir que j’en ai. Pas du tout. On dirait que les larges rues ont rétréci au lavage du mauvais temps. De vieilles maisons que l’on dirait abandonnées, tellement leur état délabré fait pitié, se pressent sur les trottoirs humides surplombant des ruelles pavées.

Je traverse et rejoins l’endroit où un arrêt de bus a disparu. Face à mon bâtiment, je constate qu’il a diminué de hauteur. Il ne possède plus que quatre étages. Interloqué, je me dirige vers le parc qui est devenu une vaste friche sur laquelle des cabanes aux toits de taule ont du mal à se tenir bien droites. Un chien aboie, puis d’autres. Je rebrousse chemin. Où suis-je ? Personne pour me renseigner.

Mes pas m’amènent une nouvelle fois à la boutique du chapelier. Un écriteau indique fermé. L’obscurité me cerne, mais un réverbère lutte bravement contre elle. Les mains dans les poches, je tâte le papier plié, l’extrais et lis l’annonce : samedi trente mars mil neuf cent sept, bal populaire. Qu’est-ce que ça veut dire ? Quelqu’un me dépasse. Il s’arrête à mon niveau. C’est le chapelier qui minaude : « Vous m’avez l’air perdu. Besoin d’aide ? » Je lui fais part de mon interrogation au sujet de la date sur le feuillet. Il soutient qu’on est en mil neuf cent sept, qu’on est coincé là. Il aurait essayé de s’échapper, mais c’est impossible. Il enfonce le clou : « Vous n’avez plus que vos larmes. La bonne nouvelle : on ne meurt pas car je devrais avoir plus de cent cinquante ans. La seule distraction, ce sont les nouveaux. » Il cligne de l’œil droit et reprend : « Demain, on revivra la même chose. Moi, à déambuler dans ma boutique. Vous, à subir l’orage dehors, puis à venir me voir et repartir, des milliers de fois. La nuit freine un peu le diktat du temps ». La main gauche tendue, il lâche un « Top là, je vous invite ! » Pas question, je cours vers le centre-ville, à en perdre haleine. Pas longtemps car je me heurte à une barrière invisible. Je reviens sur mes pas, dépasse le bâtiment où je vivais, et m’arrête devant un mur translucide. Derrière le vide. Je m’effondre, vaincu. Saleté de Maître du temps, tu m’as bien eu ! Je ne saurais pas la suite de mon histoire. Je n’ai plus de futur…

*

En ce début d’après-midi, le soleil brille derrière mes carreaux à la propreté douteuse. Je décide de me dégourdir les jambes…

FIN

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