Avertissement : déconseillé aux moins de 16 ans.
Avertissement : déconseillé aux moins de 16 ans.
Catégorie : Biographies et Autobiographies
Auteur : Esope
Résumé : Notre homme est un poète à la dérive. Perturbé par un déménagement récent et un recueil à finir, il se réconforte dans la consommation démesurée d’alcool, de drogue ou de femme. Désabusé, sa plume acerbe n’a que très peu de respect pour celles et ceux qui l’entourent. Parallèlement, notre homme – en bon auto-destructeur – essaie de reconquérir son ex-compagne avec plus ou moins de réussite…
Hara-kiri le ventre vide (Partie 1)
J’avais une vingtaine d’années mais l’on me donnait facilement mille ans. Je n’avais pas un rythme de vie convenable. Je pouvais me sentir vivant en rentrant la nuit ou bien tôt le matin, mais je recomptais sans cesse mes doigts, comme par réflexe. Je rigolais volontiers devant des films bêtes mais l’idée de passer du bon temps avec des humains me faisait bander mou. J’avais déménagé des mois auparavant, je ne saurais toujours pas placer l’endroit sur une carte. Mon départ avait signé la fin de ma relation amoureuse. Elle était trop attachée à la ville pour plier bagages. Ou trop attachée à son boulot, ou ses amies, aux pigeons, sa mère, je ne sais pas. J’ignore encore pourquoi elle n’a pas voulu venir. Pendant les premières semaines qui ont suivi le déménagement, je lui ai écrit de longs poèmes, chaque nuit, elle ne les lira jamais.
Je ne me souviens plus exactement de ma rencontre avec Jeanne. A l’époque, je venais de me faire lourder du Café-Jones pour retard à répétition, radier d’intérim pour des raisons tordues et l’ami qui trafiquait mes CV commençait à se faire dans son froc. Il n’y avait que la poésie pour m’aider à quitter cet état végétatif. Chaque matin, je descendais au magasin le plus proche pour m’équiper en bouteilles, cigarettes, cafés et autres outils de travail. Puis je boxais mon premier recueil. J’étais angoissé mais chaque poème fini, bon ou mauvais, m’envoyait au Nirvana. Il faut dire que je ne m’attardais plus trop sur la qualité. Il fallait seulement réussir à écrire. Faire parler les ongles. Taper, cracher, vider l’encre du monde sur une feuille qui n’a rien voulu. Je me considérais comme son mauvais mari ; elle me suppliait d’arrêter et je la retournais sans lui demander permission. Il fallait seulement prendre du terrain puis arrêter avant d’y prendre goût. Boire un coup et recommencer.
Mon plus fidèle ami, Antoine, passait souvent à l’appartement pour me traiter de taré. Je lui rappelais son trente heures semaine pour une grande entreprise et lui retournais le compliment. Tous les matins ou presque il me tendait une cigarette et m’accompagnait au café d’à côté. J’en profitais pour lui lire les poèmes pondus la veille, la bonne moitié ne lui plaisait jamais. On restait là une heure à parler femmes, voitures, boulot, tant de sujet que je ne maîtrise pas. Il me tendait une énième cigarette puis partait au charbon. Lui aussi était abîmé mais il ne le savait pas. « Et tu feras la bise à ta femme ! » Je le vannais comme un frère, cet enfoiré venait de se faire larguer.
Je crois avoir connu Jeanne Berno à ma première scène de poésie. La soirée se passait dans le bar « Les Lectures » à deux arrêts de métro. J’ai toujours été angoissé à l’idée de monter sur scène devant un public qui a payé pour être là. La salle était bondée, j’ai joué du coude pour aller saluer le barman que je ne connaissais pourtant pas. « Salut garçon, me répond-il, si tu passes sur scène tu as le droit à un verre offert. » Mes sourcils se sont levés comme pour le remercier d’exister ; ce type encourageait les poètes à finir encore plus rouges qu’ils le sont déjà. La scène ouvrait et le public commençait à applaudir les premiers passages. Le niveau me semblait moyen mais ce n’était pas grave. Il m’a versé un whisky que j’ai bu d’un trait. Je me sentais d’attaque. Je passai juste avant la pause et profitai de l’entracte pour choisir le prochain poème à déclamer. Comme je venais de soulever la foule, j’avais un ticket avec quelques-unes et il ne fallait surtout pas perdre le mojo. C’est Jeanne qui s’approcha de moi en premier. Accoudé au comptoir, le nez dans mon calepin, je buvais un vin de la région. Elle s’invita sans un mot, posa sa main aux frontières de mon jean puis glissa ses doigts dans ma poche. Je ne m’étais encore jamais fait voler mes Philippe-Morris avec autant de classe. Elle était brune, des cheveux courts, pas si bien coiffés. Des yeux d’ange et un cul à faire rougir les enfers. « Tu viens souvent ici ? » je lui demande. Elle a déposé une de mes clopes entre ses lèvres, m’a demandé du feu puis est partie comme une actrice. Elle avait oublié de me répondre. Trois poèmes plus tard, tout autant de verres, un détour au tabac ; je rentrais chez moi. Elle n’est qu’un exemple des nombreuses fois où j’ai pu bander mou.