Hippolyte (Partie 2)

Hippolite

Catégorie : Littérature sentimentale

Auteur : Flora Lune

Résumé : Hippolyte, une identité volée.

 

 

Hippolyte (Partie 2)

 

 

Il était onze heures cinquante-cinq. La sonnerie venait de l’annoncer. Comme chaque jour, Hippolyte rejoignit Nathan et Elise devant le foyer des loisirs. Tous trois décidèrent de manger au réfectoire, plutôt calme ce jour-là. Andréa, qui finissait un peu plus tard, les retrouva dans la file d’attente. Il les informa que Mélanie lui avait envoyé un message pour lui dire qu’elle mangeait avec son copain.

Comme ils le prévoyaient, la queue ne fut pas longue. Dix minutes après être entrés, tout au plus, les quatre lycéens étaient attablés devant leurs carottes râpées, pâtes au beurre, poissons panés et yaourts aux fruits.

Les sujets allaient et venaient au fil de leurs idées. Hippolyte relata à ses amis sa discussion de la veille avec son géniteur. Chaque fois, ils étaient mi-amusés de l’attitude obstinée du vieil homme, mi-irrités par empathie pour Hippolyte. Mais, Hippolyte racontait l’histoire de manière anecdotique, sans que cela ne lui fît plus rien.

Alors qu’ils entamaient leurs desserts, Nathan lança soudain :

– Hé, vous avez entendu l’histoire de la gamine qui s’est foutue en l’air ?
– Ouais, répondit Hippolyte. Au foyer des Camélias. C’était aux infos ce matin.
– Et on ne sait pas pourquoi elle a fait ça ? demanda Elise avec émotion.
– Difficile à dire… Elle parlait jamais à personne à ce qu’il paraît.
– C’est peut-être pour ça justement…

Ils s’attardèrent un moment sur le sujet, puis, l’éclipsèrent peu à peu. Hippolyte ne dit rien devant ses amis, mais le matin, la nouvelle lui avait paru d’autant plus choquante qu’il s’agissait du troisième suicide connu au foyer des Camélias…

Les élèves de terminale avaient sport cet après-midi-là. Voilà près de deux ans maintenant qu’Hippolyte avait réussi à obtenir une dispense médicale pour divers motifs que les professeurs pouvaient difficilement contester. Mais, qu’il s’agît des professeurs, des médecins ou des élèves, il était clair qu’aucun ne mesurait l’ampleur du service rendu à Hippolyte par ce biais : se retrouver dans un vestiaire bondé et devoir se déshabiller devant tout le monde, exposer aux regards son corps frêle dont pas un seul morceau de chair ne dépassait, si laid et si différent de ce qu’il devait être, était, à ses yeux, une épreuve difficilement supportable.

Une fois de plus, Hippolyte n’assista donc pas au cours et se rendit à la bibliothèque, presque vide à cette heure-ci. La documentaliste, une femme ronde aux longs cheveux blonds nattés, l’accueillit, comme à son habitude, avec la plus grande bienveillance. Après avoir posé son sac et sa veste, Hippolyte passa une vingtaine de minutes à discuter avec elle. Comme son père, elle paraissait regretter un peu son choix d’étudier l’informatique, mais pour une toute autre raison : selon elle, sa brillante réussite dans des études littéraires ne faisait aucun doute. Hippolyte, bien sûr, aimait la littérature, mais pas assez pour y consacrer son avenir.

Lorsque la documentaliste dut interrompre leur conversation pour enregistrer le prêt effectué par une élève de seconde, Hippolyte la laissa pour aller s’asseoir là où étaient posées ses affaires, et passa les deux heures suivantes sur des exercices de physique particulièrement corsés. Une fois qu’elle eut enregistré ses prêts, l’élève de seconde vint s’asseoir à sa table, lui adressa un bref sourire, puis, sortit ses affaires et se mit au travail à son tour.

Elle s’interrompit la première. Hippolyte suivit de quelques minutes, et se retrouva derrière elle dans le couloir. Elle ne parut pas s’en apercevoir, ni même réaliser que, tandis qu’elle marchait, les yeux gris d’Hippolyte s’étaient fixés dans ses longs cheveux blonds, dont les ondulations couvraient son dos et caressaient ses hanches encore à peine arrondies, tels une parure invisible.

Hippolyte ne se souvenait pas d’avoir déjà vu cette fille auparavant, et, à vrai dire, cela importait peu. Tout ce qui comptait, pour l’heure, c’était sa chevelure dorée, souple et brillante, dont le balancement régulier au rythme de ses pas lui avait littéralement happé le regard.

Parvenue au milieu du couloir, elle bifurqua à gauche. De manière parfaitement inconsciente, et sans même savoir où elle allait, Hippolyte continua de la suivre. Elle sembla alors réaliser sa présence. Elle s’arrêta, se retourna, puis, lui jeta un regard interloqué. Pendant un instant, Hippolyte crut qu’elle allait dire quelque chose. Mais, elle ne dit rien. Elle se contenta de tourner les talons et de disparaître derrière une porte.

Hippolyte réalisa alors quelque chose : cette fille ne pouvait rien lui dire, absolument rien. Se trouver à cet endroit, en cet instant précis, était son droit le plus strict. Rien ne pouvait l’en empêcher. Hippolyte était parfaitement à sa place.

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