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Résumé :
Un couple dîne dans un restaurant d’Amsterdam. L’homme qui s’ennuie un peu observe discrètement une femme qui dîne seule.
La dame d’Amsterdam ou le restaurant (Partie 2)
Seule. Comment pouvait-elle être seule ? On n’est pas seule avec autant de talent, de compréhension des autres, on n’est pas seule quand on est capable d’être si fortement amoureuse. Ou alors, elle venait de quitter quelqu’un. Elle l’avait quitté avec gentillesse et soulagement et sachant qu’elle existerait toujours dans la mémoire de cet homme avec qui elle ne supportait plus le banal. En quoi l’avait-il déçue ? Était-elle à ce point exigeante ? L’avait-il trompée ? Non, trop banal, trop vulgaire, pire même, trop médiocre ; ce genre de situation ne ressemblait pas à sa vie. Ne l’aimait-il plus comme elle le voulait ? Ne l’aimait-elle plus comme elle le voulait ? Elle s’était détachée de lui petit à petit, sans à-coups, presqu’avec accompagnement.
Il y avait eu cette petite maison achetée quelque part dans le midi de la France, dans un village ocre et lumineux. Et il s’y étaient installés avec bonheur. Et l’ennui s’y était invité à leur insu.
Ou alors, elle venait d’être quittée, elle avait supporté cette récente séparation après des semaines d’incertitude, avec des larmes, en emportant avec elle cette définitive capacité à ne garder que le meilleur des gens et des situations pour mieux repartir.
Dans le restaurant, les clients arrivaient par deux, quatre, plus rarement en groupes mais aucune personne seule. Sauf elle. Ils ouvraient cette porte en bois avec poignée de cuivre, laissant entrer un léger souffle d’air frais qui mettait davantage en valeur la chaleureuse atmosphère de cet endroit. Je parlais avec ma femme par intermittence, comme on le fait souvent avec des gens qu’on connaît depuis longtemps et si bien. Pas toujours besoin de beaucoup parler pour être bien et bien se comprendre. J’étais souriant, je semblais fatigué par cette journée bien remplie et je paraissais m’abandonner à la chaleur du restaurant, au repas original et fortement épicé, au vin qui n’apaisait pas tout à fait le piment. Malgré cette douce fatigue apparente, cette nonchalance agréable de fin de repas après une journée à arpenter la ville et ses trésors, il y avait comme une grande exaltation due à cette rencontre avec elle, rencontre inattendue et non-réciproque.
Car je doute qu’elle ne m’ait vu, ou tout du moins, regardé. Remarqué ? Certainement pas… J’ai certainement été dans son champ de vision lorsqu’elle jeta un regard circulaire dans la salle. Sans plus. Elle ne m’avait pas remarqué. Cela me navrait : je ne suis pas remarquable ou alors elle ne m’avait pas remarqué comme j’aimerais qu’elle le fasse ? Mon amour-propre mis à mal me suggéra cette consolation provisoire et très incertaine : qu’elle prenne le temps de me remarquer et que cela lui fasse plaisir, l’accroche.
Donc, pour le moment, elle ne m’avait pas remarqué par défaut, je n’avais pas le choix. En même temps, cela me soulageait presque : si elle m’avait remarqué, comment aurais-je réagi ? Là, j’avais toute latitude pour l’inventer, lui créer une histoire, lui prêter des sentiments, lui donner des intentions, la conduire dans des pensées que je lui prêtais.
Belle est un mot d’une insupportable fadeur et d’une réelle quiétude. Ce n’est pas un vain mot. Oui, bien sûr, on sait voir, comme ça, rapidement. Mais cela ne suffit pas. Belle n’est pas l’essentiel. Je ne sais pas si elle était belle, cela n’avait aucune importance puisque c’est son charme qui m’a touché, intrigué. Elle était au-delà de ça et même mieux, en dehors de ça. C’est très compliqué à expliquer, le charme. Tous ont essayé. Tous les artistes : peintres, écrivains, sculpteurs, poètes, cinéastes, photographes…