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Résumé :
Un couple dîne dans un restaurant d’Amsterdam. L’homme qui s’ennuie un peu observe discrètement une femme qui dîne seule.
La dame d’Amsterdam ou le restaurant (Partie 4)
Je la voulais enthousiaste, prompte à être amoureuse. Je la voulais généreuse, capable de beaucoup donner et qu’elle ait également le talent de savoir se construire avec ce qu’on lui donnait comme amour, comme amitié, comme considération et respect. Qui l’avait fait souffrir ? Qui avait-elle fait souffrir ? Bien évidemment, j’étais trop loin pour entendre le peu de paroles adressées au serveur. Sa voix ! Je ne connaissais pas sa voix, ses intonations, ses souffles, son timbre… Son accent aussi. Après tout, je ne m’étais pas encore demandé de quelle nationalité elle était. En fait peu importait pour le moment mais pourquoi ne serait-elle pas touriste non plus ?
Elle aurait donc décidé de voyager seule dans cette ville qu’elle connaissait, ne cherchant pas à retrouver des souvenirs mais plutôt une atmosphère agréable, une couleur douce, chaude, confortable. Elle irait donc chercher des émotions paisibles et fortes qui lui permettraient d’affronter une douleur, un chagrin, la maladie ?
Non, je m’embarquais dans une direction malséante, une impasse en fait. Je balayais très vite cette pensée. Il fallait absolument que je m’engage et que je l’emmène sur un autre chemin. Je repartais donc avec une curiosité intacte et rassurée.
Et puis si tout simplement elle prenait du temps pour elle. Une situation banale : elle est heureuse depuis longtemps et depuis toujours avec son mari et là, elle prend du temps pour elle. Mais pourquoi ? Pourquoi seule ? Je n’avançais en rien, je tournais en rond…
Seule, assumant son indépendance ou souffrant de sa dépendance ? Assumant sa dépendance ou souffrant de son indépendance ? En période de rupture ou de sérénité ? Il aurait fallu que je m’approche d’elle, que nos regards se croisent. Elle ne me remarquerait pas, je ne susciterais en elle aucune émotion, aucune curiosité, aucun intérêt. Ainsi, je n’aurais plus envie de l’inventer, de l’emporter.
J’aurais voulu juste un effleurement qui aurait pu être prometteur ou porteur d’un regard, d’un parfum.
Cela évidemment ne s’est pas produit. Nous sommes sortis avant elle du restaurant. Je la regardai une dernière fois, ce dernier regard n’a rien changé, elle ne me connaissait pas. Pourquoi étais-je dépité ? Il n’y avait rien à espérer, rien à envisager ni même à désirer.
Par contre, j’avais pour toujours ce dont je me doutais : une joie et un enthousiasme qui n’appartenaient qu’à moi, une capacité à aimer même fugacement comme ce soir, une volonté d’être émerveillé par toutes les « Elle », des moments qui seraient plus ou moins éphémères mais toujours intacts et renouvelés.