Catégorie : Fantastique/Merveilleux
Auteur : Chloé Garcia
Résumé : Ela, une jeune musicetelle de son village, vit paisiblement quand des phénomènes étranges surviennent. Le voile entre la vie et la mort s’amincit et les ténèbres entrent dans la danse.
La magie d’Ela (Partie 1)
Ses doigts défilaient sur les cordes comme si elle était née pour cela. Ses gestes étaient à la fois souples, gracieux et ivres de vitesse. Habitués à la dureté du travail, ses membres semblaient diriger la danse. Alignant des accords aux sonorités classiques et des ensembles au son novateur, leurs audaces auraient hérissé les oreilles de ses proches. Ela inventait, voyageait et voulait s’émanciper de toutes ces règles qui l’empêchaient de se sentir libre. Libre comme les esprits qu’elle invoquait et avec qui elle communiquait tous les jours.
Musicetelle de son village, la jeune femme était la passerelle entre les vivants, qui attendaient tout, et les morts qui n’espéraient plus rien. On venait la voir pour de nombreux problèmes : « Mes parents sont-ils fiers de moi ? », « Mon fils m’a-t-il pardonné ? ». Ela savait comment ne pas déranger ceux qui n’étaient plus et comment leur insuffler ces interrogations qui tracassaient ses proches. Tout était dans l’art de la mélodie, de la puissance des notes et de la volonté de la passeuse.
Ce jour, Ela jouait pour son propre plaisir. La fête Consicetelle célébrait tous les métiers qui employaient l’essence de la musique pour produire, guérir, chasser, cultiver, donner et nourrir. Sa harpe celtique sur le dos, la jeune femme en profitait alors pour s’échapper quelques instants et s’installer en pleine forêt, à l’insu de tous. Elle ne voulait plus se lier aux esprits et les laisser en paix la journée. Pour autant, elle ne se sentait pas seule. Son médaillon le lui rappelait constamment. Elle serra contre son cœur le magnifique présent offert par son parrain il y a peu, sur lequel était gravé : « Tu ne seras plus jamais seule ».
Les agitations des arbres, les bavardages des animaux, le grabuge des insectes et le ronflement du vent sonnaient mélodieusement à ses longues oreilles et l’inspiraient. Ses morceaux préférés se transformaient en nouveautés retentissantes de vérité et de charme. La forêt lui répondait, lui envoyant de nouvelles intonations et des accords prometteurs. Ela souriait, perdue dans son monde, épanouie, et à jamais liée à ce qui l’entourait, qu’il soit mort ou vivant, muet ou bavard. Tout semblait aller pour le mieux, jusqu’au moment où la nature se tut.
Ses doigts glissèrent et la note restituée fut affreuse, sans forme. L’arrivée soudaine du silence avait perturbé la jeune femme qui balaya rapidement la scène alentour. Les écureuils ne la regardaient plus, les biches étaient parties, les oiseaux ne l’accompagnaient plus et les arbres semblaient ne plus vouloir chanter. Il se passait quelque chose d’étrange. La forêt lui parut lugubre. Ses habitants avaient déserté et le vent avait aussi cessé. Cette vision sordide ne lui insufflait que des images noires d’un futur qu’elle n’avait pas envie de connaître.
Ela se mit à courir et arriva au village essoufflée. Son cœur battait la chamade et pas seulement à cause de la course qu’elle venait d’entreprendre. Une foule compacte était réunie devant la maison du chef du village. Les enfants en profitaient pour jouer avec leurs armes de bois. Peut-être ne comprenaient-ils pas pourquoi les adultes étaient ainsi préoccupés. Ou peut-être ne devaient-ils pas écouter. Tremblante, Ela avança pour mieux discerner les paroles de son père.
– … de loup. Ils ont été tués par des armes que nous connaissons, ils ont été tués par l’un d’entre nous, mais pourquoi ? Pourquoi tuer ainsi pour le simple fait de tuer ? Qui pourrait être aussi cruel ? En ce jour de Consicetelle, je suis vraiment épouvanté. Le village restera fermé jusqu’à ce que nous trouvions le coupable. C’est ce que le conseil et moi-même venons tout juste de décider.
La foule cria son mécontentement. Les fêtes étaient l’occasion d’échanger et d’accueillir de nombreux visiteurs. Le village était réputé pour ses artistes et ses talentueux magiciens. Certains marchands semblaient outrés et commençaient à s’échauffer. D’autres avaient déjà sorti leurs armes et se préparaient à partir à la chasse au meurtrier. Ils ne laisseraient personne gâcher cette fête. Ôter une vie était la pire des ignominies, plus encore dans une société où personne n’avait à jalouser autrui. Tout était à la portée de tous et chacun pouvait vivre heureux et en paix.