
Catégorie :
Auteur :
Résumé : À force de lire « Siméon le papillon » à mon fils, j’ai moi aussi eu envie de créer mon propre bal des Tulipe(s)… 😉
Le bal des Tulipe (Partie 4)
Toujours soucieux de la conversation qu’il avait surprise, Monsieur Guichard décida d’ouvrir l’œil. Ainsi, lorsqu’il se rendit au dortoir pour annoncer l’extinction des feux et souhaiter bonne nuit à ses filles, un détail retint son attention.
– Caroline, pourquoi tes cheveux sont-ils mis de la sorte ?
– Maria me les a tressés pour qu’ils soient frisés demain, répondit la petite brune sans ciller.
– Les filles et leurs coquetteries, voilà quelque chose qui m’échappera toujours, soupira le maître. Allez, bonne nuit les enfants ! Et pas de bavardage !
– Bonne nuit Monsieur Guichard !
Monsieur Guichard moucha la chandelle et quitta le dortoir. Afin de garder un œil sur les allées et venues, il choisit de s’installer dans la salle d’étude plutôt que dans son bureau, et d’en laisser la porte légèrement entrouverte. Et, tout en préparant ses leçons du lendemain, il levait fréquemment la tête de ses livres dans l’espoir de surprendre un mouvement. Au bout de vingt minutes, la porte du dortoir s’ouvrit doucement, et deux silhouettes s’éloignèrent dans la pénombre. Se levant silencieusement, Monsieur Guichard sortit de la salle d’étude et les suivit. Elles se dirigeaient vers la salle de bain.
– Je croyais avoir dit « extinction des feux », lança le maître, surprenant Isabelle et Manaé. Manaé, que caches-tu derrière ton dos ?
– C’est pour moi, Monsieur, répondit Isabelle en rougissant jusqu’aux oreilles. J’ai eu mes… choses de fille… et… Manaé va me montrer… comment on fait.
Elle avait parlé avec un souffle court, en dansant nerveusement d’un pied sur l’autre. Son explication semblait l’avoir mise véritablement mal à l’aise, et Monsieur Guichard, bien qu’il fût quelque peu habitué à ce genre d’événements à force d’éduquer des filles, ressentit lui aussi une certaine gêne.
– Ah… D’accord. Bon, ne traînez pas. Je ne veux pas vous voir dormir en classe, demain.
– Oui, Monsieur.
Il reprenait le chemin de la salle d’étude lorsqu’on sonna discrètement à la porte d’entrée. Un peu étonné, il ouvrit. Sa surprise fut encore plus grande lorsqu’il découvrit sa visiteuse nocturne, une magnifique jeune femme aux longs cheveux d’or, à la peau claire comme la lune, et aux grands yeux verts. Mademoiselle Tulipe, l’institutrice de l’école du village. Une femme de trente-cinq ans, belle, douce, cultivée, et élégante en toutes circonstances. Chaque fois qu’il la voyait, Monsieur Guichard regrettait de ne pas être plus riche, et de ne pouvoir s’habiller autrement qu’avec une vieille chemise en lin, et un pantalon élimé et maintes fois rapiécé.
– Mademoiselle Tulipe ! s’écria-t-il avec surprise. Que faites-vous si loin du village à une heure pareille ?
– Je vis dans la maison de mes parents, de l’autre côté de la rivière. Excusez-moi de vous déranger si tard, mais… Vous m’aviez dit avoir un dictionnaire d’allemand, non ? J’en ai absolument besoin pour mes copies, et je ne connais que vous…
– Mais bien sûr, Mademoiselle ! Il est dans la bibliothèque. Entrez donc, je vais vous le chercher. Désirez-vous une tasse de thé ?
L’institutrice lui adressa son plus beau sourire.
– Avec plaisir, Monsieur !
Tandis que l’eau chauffait dans la cuisine et qu’il s’affairait à chercher son livre, Monsieur Guichard réalisa la situation dans laquelle il se trouvait. Il était près de dix heures du soir, et il s’apprêtait à prendre le thé avec la ravissante Mademoiselle Tulipe, qui était, à ses yeux, la plus belle femme du village. Mais, le reflet que lui renvoya la vitre brisa bien vite ses illusions. Avec sa barbe mal entretenue et ses cheveux grisonnants, jamais cette dame ne le regarderait comme lui la regardait. Par égard pour lui-même et pour son invitée, il décida tout de même d’aller se rafraîchir un peu.
Quelle ne fut pas sa surprise, à l’heure où ses élèves étaient supposées dormir, d’entendre des rumeurs de conversations et bruits divers dans la salle de bain… Avant qu’il n’ait pu faire le moindre geste, Julie et Valentine en sortirent en gloussant. Elles se figèrent en apercevant leur maître.
–Oh ! Monsieur Guichard, nous…
–Décidément, ça n’arrête pas ce soir ! Je vous rappelle que, sauf urgence, les passages à la salle de bain doivent se faire avant le couvre-feu ! Julie, qu’est-ce que tu as sur les lèvres ?
La jeune fille rougit en tentant de dissimuler ses lèvres légèrement plus brillantes qu’à l’accoutumée.
–Oh, c’est… Une crème que Théodora m’a prêtée pour… Les réparer… Vous savez, c’est quand j’ai eu mon rhume…
–Je vois, fit Monsieur Guichard peu convaincu. Bon… Filez au lit, toutes les deux.
–Oui, Monsieur !