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À force de lire « Siméon le papillon » à mon fils, j’ai moi aussi eu envie de créer mon propre bal des Tulipe(s)… 😉
Le bal des Tulipe (Partie 8)
La vigilance de Monsieur Guichard
redoubla dès le mercredi matin, ainsi que la tension partagée entre
les filles. Tout au long de la journée, il garda discrètement un
œil sur Manaé, laquelle lui sembla plus nerveuse que jamais. Mais,
l’heure du déjeuner passa, puis celle de l’étude et du souper, sans
que rien n’arrivât ; et au moment du couvre-feu, les filles se
tenaient toutes bien sagement sur leurs lits, prêtes à dormir,
vêtues de leurs pyjamas, le visage et les mains lavées, les cheveux
brossés, la tisane du soir éliminée. De nouveau, il demeura dans
la salle d’étude après leur avoir souhaité bonne nuit, mais cette
fois, la porte du dortoir ne bougea pas d’un pouce.
Dix
heures sonnèrent, puis onze. Épuisé, baillant à s’en décrocher
la mâchoire, Monsieur Guichard en vint à se demander si le
« mercredi » perçu sur les lèvres du prétendant de Manaé
était bien celui-ci, ou même, s’il n’avait pas surinterprété le
comportement des filles… Il se leva et s’étira. Une dernière
ronde, et au lit !
Il venait à peine de traverser le couloir
lorsqu’on frappa à la porte d’entrée.
– Mademoiselle
Tulipe ! Tout va bien ?
La jeune femme semblait étrangement
nerveuse.
– Monsieur Guichard, je voulais vous parler de
quelque chose d’important… Voudriez-vous me suivre, s’il vous plaît
?
– Voyons, Mademoiselle, il est presque minuit, et les filles
dorment ! Ce n’est vraiment pas raisonnable !
– C’est justement
d’elles qu’il s’agit… Je le découvre à l’instant, et…
–
De mes filles, vraiment ? Et ne pouvons-nous pas en discuter ici ?
–
Non, vraiment, il faut que vous voyiez quelque chose… Je vous en
prie, venez avec moi, je vous promets que ce ne sera pas long !
Monsieur Guichard réfléchit un moment. Qu’avait-elle de si
important à lui montrer concernant ses élèves ? Avait-elle
découvert quelque chose concernant leurs fréquentations ?
Il
ne pouvait laisser la maison sans surveillance, aussi, décida-t-il
de voir si Théodora était toujours debout, afin de le remplacer
pendant un petit moment. Plongée dans une revue médicale,
l’infirmière accepta. En partie rassuré, il suivit Mademoiselle
Tulipe jusqu’au pied d’une colline, mais, il eut beau la questionner,
la jeune femme demeura hermétique.
Soudain, des bruissements
se firent entendre. Monsieur Guichard s’arrêta.
– Vous
avez entendu ?
– Quoi donc ?
– Ce bruit, à l’instant…
– Oh… Seriez-vous effrayé, Monsieur Guichard ?
Déstabilisé, le maître tenta de reprendre contenance.
–
Pas du tout ! Ce devait être un animal, rien de plus. Continuons, je
vous prie.
– En fait, nous sommes presque arrivés. Venez.
Face à eux, se dressait un grand manoir tout en pierre, à
demi-caché par d’hauts
arbres qui se balançaient au rythme d’un vent léger. Ils se
trouvèrent bientôt devant une grille que Mademoiselle Tulipe
ouvrit.
– Mademoiselle… Où m’emmenez-vous, exactement ?
– Patience, vous le saurez bien assez vite.
Mais, la
pointe joyeuse qui perçait dans sa voix commençait à le faire
douter que l’objet de sa venue fût réellement en lien avec ses
élèves. Et pourtant…
Ils traversaient un verger à
l’aménagement quasi-géométrique lorsque, de nouveau, un bruit
retentit. Il provenait d’une rangée de pommiers, et cette fois,
Monsieur Guichard eut le temps d’apercevoir deux silhouettes
enlacées, qui, alertées par les bruits de pas, se séparèrent
immédiatement. Ils échangèrent un regard rapide et s’enfuirent en
courant vers le fond du jardin. À la lumière d’un rayon de lune, le
maître les avait reconnus : c’était Manaé et son galant. Son sang
ne fit qu’un tour.
–Manaé ! Manaé !
Il s’élança
à leur poursuite, ignorant Mademoiselle Tulipe qui l’appelait
désespérément, oubliant pourquoi elle l’avait fait venir en
premier lieu. Une seule chose importait désormais : Manaé
fréquentait un garçon, et il venait de les prendre sur le fait. Des
conversations surprises entre ses élèves quelque temps auparavant
lui revinrent en mémoire. Dire qu’il avait refusé d’y croire,
persuadé de protéger ses filles contre tous les dangers… Mais
comment les protéger contre les dangers des premiers émois une fois
que ceux-ci se présentaient ? De plus, il semblait que cette
relation durait depuis déjà quelques semaines… Mais depuis quand
exactement ? Et jusqu’où les deux fripons étaient-ils allés
exactement ? Atterré, Monsieur Guichard refusa d’y penser. Sa Manaé
n’était peut-être qu’une enfant, mais il semblait en aller
autrement pour ce garçon…
Ils ouvraient la porte du manoir
lorsque Monsieur Guichard les aperçut de nouveau. Il entra à leur
suite, mais la porte du vestibule se referma sur eux. Pantelant, le
maître l’observa un instant et se sentit soudain très stupide. Tout
à sa course-poursuite, il avait omis qu’il se trouvait dans
l’enceinte d’une propriété appartenant à des gens qu’il ne
connaissait pas, mais dont la condition était sans doute bien
supérieure à la sienne. Que leur dirait-il lorsqu’il les verrait ?
Comment expliquerait-il le comportement de son élève, et pire
encore, le sien ?