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Résumé :
Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 10)
Le suivant sur la liste était son compère le plus proche, Simon. Ce n’était pas l’un des fidèles intéressés de Connrad, plutôt son bras droit : impétueux, un air supérieur. La vie était pour lui une compétition dans laquelle il fallait être le meilleur. C’est pourquoi les rangs, qui ne s’étaient pas encore desserrés au passage de Connrad, lui laissèrent le même privilège.
– Sarrail !
Navaron parcourait le groupe des capuches dorées du regard, alors que Sarrail était déjà arrivé près de lui après s’être détaché des premiers rangs. La différence de taille entre le surveillant et l’élève était cocasse.
Sauf que de ce fait – considérant le jeune âge de Sarrail –, des bouh s’élevèrent, repris par la colère des prétendants en dernière année. « Il n’a pas dix-sept ans ! ». C’était un outrage, un scandale ! Sauter plusieurs années de classe était insupportable. Qui était-il pour obtenir ce droit ?
« J’ai l’âge que je désire ». Sa remarque impétueuse adressée plus tôt à Connrad résonnait encore dans les têtes.
Sarrail resta immobile auprès des premiers appelés, les yeux vers le sol en attendant que le calme se rétablisse de lui-même.
Monsieur Navaron accorda une sixième et dernière place pour les garçons.
– Lim Ledah ! poursuivit Navaron.
Soulagé, Lim Ledah leva une main et se fraya un chemin. Comme il était aussi introverti en société qu’Olivan, Sun Abi s’était approché du surveillant pour diriger son regard vers lui.
– Bien. C’est au tour des filles, à présent.
Les derniers échos de protestation liés à l’appel de Sarrail disparurent sous les cris aigus remplis d’espoir des prétendantes féminines.
Une jeune fille se démarqua particulièrement avec son ombrelle, escortée par les sœurs Cervantes – elles avaient l’air jumelles, mais l’une était plus âgée d’une année ; personne ne les dissociait, on les appelait rarement par leurs prénoms, car elles ne se séparaient jamais. La jeune fille au maquillage parfaitement maîtrisé voulait se rendre près de Monsieur Navaron pour lui parler. Les sœurs Cervantes n’hésitaient pas à piétiner des pieds à la moindre résistance, offrant, tel un perce-neige, un espace moins contraignant à la jeune fille à l’ombrelle. Arrivée au premier rang avec des manières de princesse, elle secoua une main enveloppée d’un gant blanc pour attirer l’attention du surveillant Navaron.
– Je vous prie de croire, Monsieur Navaron, que dans le triste cas où vous ne citeriez pas mon nom, j’en référerais à mes parents dans l’immédiat.
– Ce n’est pas moi qui choisis les élèves de dernière année, mademoiselle Précieuse. Je n’ai qu’un rôle de consultation.
– Osez croire que je m’en moque bien.
Le surveillant Navaron s’éclaircit la gorge, ses lunettes tombèrent au bout de son nez comme il regarda la liste.
– Vous allez penser que les menaces paient, mademoiselle Précieuse, mais dans toute ma désolation, je suis bien obligé d’invoquer votre nom puisqu’il est inscrit sur la liste.
Précieuse était satisfaite, croyant vraiment à son pouvoir d’injonction. Les sœurs Cervantes l’applaudirent chaleureusement.
En passant près de Monsieur Navaron, et le gênant avec son ombrelle, elle jeta un coup d’œil furtif sur la liste. Elle se retourna tout sourire.
– Venez, mes très chères amies, vous êtes admises !
Les sœurs Cervantes n’en croyaient pas leurs oreilles. Leurs voix enthousiastes montèrent encore un peu plus dans les aigus, puis elles se précipitèrent aux côtés de Précieuse. Le surveillant général plongea ses yeux sur la liste en retenant ses lunettes.
– Oui, hum, effectivement : Oria et Kira Cervantes, confirma-t-il à toute l’assemblée.
Navaron rapprocha la liste près de son torse, se retourna avec un œil désapprobateur. « Nous aurons du travail cette année, mademoiselle Précieuse. »
– Sue ! continua-t-il.
« Elle est là ! Elle est là ! Elle est là ! ». Les cris provenaient des quatre coins du groupe, suivis d’éclats de rire.
Un cahier à couverture solide provenant d’un autre temps sautillait d’un coin à l’autre jusqu’à finir sa course dans un bruit franc et lourd aux pieds du surveillant Navaron. « Sue » était cousu sur la couverture. Il était exagérément épais parce que la jeune fille notait tout en détail, de ses cours à ses journées dans le pensionnat, en passant par ses pensées intimes. Elle n’avait jamais voulu se mettre à la version tablette.
Sue ramassa son cahier dans la gêne et la honte ; elle n’aimait pas attirer les regards, encore moins les moqueurs. Comme pour sommer au fil du temps de passer à autre chose, elle dit à Monsieur Navaron : « Je suis là, monsieur. » Elle le pria intérieurement de détourner le feu des projecteurs en appelant une nouvelle jeune fille.