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Résumé :
Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 15)
Comme plusieurs indices lui faisaient penser à elle-même, Sue se demandait quel genre de personne était ce professeur de mathématiques. D’abord son attitude introvertie pendant les présentations, en recul par rapport aux autres professeurs. Une posture avachie, des lunettes orientées vers les pieds. Était-elle comme elle ? Ses vêtements qui la faisaient passer pour une grand-mère ; Sue avait le même genre dans sa garde-robe civile. D’ailleurs, que l’uniforme soit obligatoire au pensionnat était bien la seule chose dont elle remerciait le ciel. Il y avait aussi cette odeur de renfermé, qui piquerait sûrement l’odorat de Précieuse, mais qui la plongeait personnellement dans un cocon protecteur. À force de vivre dans son ancienne chambre, cette odeur de renfermé régnait comme un parfum aussi rassurant que sa propre odeur corporelle.
Elle avait un autre point commun avec Madame Baurens : elle aimait le thé. Elle en avait reconnu l’odeur ; plus elle se rapprochait de la porte derrière laquelle vivait cette femme, plus c’était évident. En spéculant sur sa personne, elle se demandait comment elle avait vécu sa scolarité, et ce qui l’avait poussée à revenir enseigner au pensionnat. Avait-elle éprouvé autant de souffrance qu’elle ?
Sue eut l’irrépressible envie de connaître davantage Madame Baurens, au point que son bras s’était levé sans l’ordre de sa conscience, et que sa main avait capturé la poignée de la porte. Puis, se rendant compte de son acte insidieux, elle s’arrêta. Si sa propre chambre se trouvait derrière cette porte, elle n’aimerait pas qu’un inconnu y pénètre sans son autorisation.
Un hoquet opprima sa gorge, puis se retourna. Le surveillant Navaron attendait silencieusement qu’elle découvre sa présence. Le teint livide de Sue témoignait de son sursaut.
– Mademoiselle Sue, veuillez rejoindre vos camarades. Le cours de Monsieur Brun commence.
– Encore bienvenue en dernière année, dit chaleureusement Monsieur Brun en regardant Sue s’installer au pupitre du fond. Je suis donc Monsieur Brun, professeur d’histoire-géographie. Avant de commencer le cours, je me dois de vous informer sur les particularités de cette dernière année.
Il était très sérieux, comme son costume guindé le supposait. Mais sa diction claire et sa voix chaude avaient quelque chose de rassurant.
– Sachez tout d’abord que vous suivrez un cours par jour. Ça ne paraît pas beaucoup, mais en vérité le programme est très chargé. Vous aurez certainement de violentes migraines les premiers jours. Découvrir le monde vous sera difficile, car des pans entiers de son histoire vous ont été épargnés. Peut-être dans vos rêves y avez-vous entrevu quelques vérités.
Monsieur Brun fit une pause. Les élèves restaient en haleine.
– Je suis aussi en quelque sorte le psychologue du corps professoral. C’est-à-dire que si vous éprouvez le moindre besoin de vous confier, je suis là pour vous écouter sans vous juger et je ferai tout pour que votre séjour dans cette école s’effectue dans les meilleures conditions.
Le professeur prenait beaucoup de précautions pour ne pas les heurter.
– Pour cette raison, je suis obligé de vous prévenir que vous allez apprendre des choses aussi belles que terribles. Mon collègue que vous verrez demain, Monsieur Zirmi, n’est pas aussi… avenant que moi.
Monsieur Brun leur exposa ensuite sa méthode d’enseignement.
– Chacun de vous écrira une question sur le verre tactile de votre pupitre ; je les recevrai sur mon bureau et en choisirai une au hasard. J’essaierai de répondre à toutes les questions pour vous éclairer sur l’histoire et la géographie de notre belle NASYA. Bien.
Pendant que les élèves sortaient leurs stylos connectés de leurs sacoches, Monsieur Brun ajouta que l’anonymat serait préservé et que la question sélectionnée apparaîtrait sur le grand tableau de verre.
Les élèves hésitaient beaucoup quant au contenu de leurs questions. Spontanément, aucune ne leur vint précisément malgré toutes les inconnues. Après un délai raisonnable, la curiosité délivra leurs poignets.