
Catégorie :
Auteur :
Résumé :
Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 19)
Les professeurs mangeaient d’un côté et les élèves d’un autre. La question était de savoir si l’on mangeait mieux en dernière année ou si les repas seraient sensiblement les mêmes. Les élèves portaient leurs plateaux, les uns derrière les autres.
Connrad ouvrait la marche. Devant un distributeur, il avait le choix entre des plats variés, de la plus modeste soupe de poisson pour le coût d’une perle de rêve marron, au très raffiné homard royal à une perle blanche. Comme il s’appuyait sur son sceptre d’une main en tenant son plateau de l’autre, il pria son ami Simon de sélectionner à sa place son repas du jour. Simon, habitué au fait, empoigna à l’intérieur de la sacoche de Connrad une perle blanche sous les yeux envieux des autres. Elle paya largement le repas des deux amis – à vrai dire, cette perle aurait pu nourrir tous les élèves.
Olivan s’approcha à son tour du distributeur ; son ventre lui ordonnait de prendre le même repas que celui de Connrad et Simon. Sa gourmandise lui fit choisir un dessert à dix perles marron, un gâteau au chocolat à l’aspect appétissant. Satisfait, il choisit ensuite la soupe de poisson et des croûtons de pain en supplément. Tandis qu’il devait insérer dans la machine quatre perles de rêve marron, il constata que sa sacoche était vide. Il laissa place aux suivants.
Il y avait plusieurs tables ; des groupes se formèrent. Ainsi, Connrad, Simon et Ella – qui avait l’air d’en pincer pour Connrad – riaient d’on ne sait quel sujet ; Olivan remerciait encore Sarrail de lui avoir donné un uniforme à capuche dorée, à côté d’eux se trouvait Sue, mangeant sa salade lentement et se concentrant sur la lecture de ses notes. Dans une troisième table s’étaient installées Précieuse et les sœurs Cervantes. Elles faisaient beaucoup de bruit comme si elles discutaient des choses les plus surprenantes et enthousiasmantes du monde. La dernière table était prise par Shaellah, Lim Ledah et Sun Abi. Ce dernier avait payé son repas et celui de Lim, mais la comparaison avec Connrad et Simon ne tenait pas compte de la qualité.
Shaellah revint sur l’incident du matin : le vol de la perle blanche de Sun Abi.
– Vous êtes sûrs qu’on ne devrait pas en parler aux professeurs ? Au directeur ?
Silence.
– Est-ce que quelqu’un pourrait croire, dit Sun Abi, qu’une personne se soit introduite dans la chambre de Lim, ait volé ma perle de rêve, et disparu par la fenêtre du troisième étage en déployant des ailes mécaniques ?
Silence.
– Et si, continua Lim Ledah, le voleur rôdait toujours près du pensionnat ?
– On n’a jamais entendu parler de vol de perles auparavant, dit Sun Abi. C’est étrange.
– Si c’est déjà arrivé et que les victimes ont décidé de ne rien dire comme nous, c’est normal, dit Shaellah.
– Tu penses qu’il faudrait le confier à Monsieur Brun ? demanda Lim.
– Non, on ne le peut malheureusement pas. Si on attire l’attention sur nous, ça mettrait en danger mon secret, et le tien Lim.
– Ils verront qu’il n’y a pas de Karm dans ton ancienne chambre, confirma Sun Abi.
– S’ils découvrent quoi que ce soit, reprit Shaellah, sans qu’on puisse prouver l’existence du voleur, alors ils nous traiteront comme les gens de la ville. Vous avez bien entendu Monsieur Brun : le moindre signe anormal – comme ta carence de perles de rêve, ou ce qui m’arrive quand je suis en colère – sera peut-être considéré comme…
– Comme un signe de nature… coupa Lim Ledah.
– … Sylvéide, conclut Sun Abi.
Ils ne diraient rien pour le moment, mais il faudrait se montrer prudent et observateur. Shaellah évoqua le morceau de tissu violet qu’elle avait arraché pendant la fuite du voleur, et remarqua que Madame Baurens portait une longue jupe violette. Les trois compères riaient de leurs hypothèses de plus en plus improbables.
Lorsque tous les élèves passèrent au dessert, hormis Olivan qui avait déjà fini le sien, ils assistèrent à une scène originale : dans le coin des professeurs, Monsieur Brun s’était levé avec son plateau vide, s’était penché vers Mademoiselle Losada et l’avait surprise d’un baiser volé sur la joue. Suite à quoi, il s’adressa aux élèves tout sourire, d’un signe de pouce levé, comme si la question de « pécho » la plus coquette des professeurs était un défi relevé !