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Résumé :
Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 21)
Ensuite, Monsieur Navaron passa devant Sue sans rien dire, mais elle l’arrêta pour demander s’il y aurait une inspection tous les jours. Comme il acquiesça, Sue ouvrit son volumineux cahier et nota l’information.
Le surveillant regardait Ella avec insistance. Il approcha une main ouverte. La jeune femme se pencha légèrement pour cracher la gomme qu’elle mâchait. Il sortit de la poche de son veston un tissu blanc dans lequel il enferma la confiserie et le rangea à la même place.
– Je ne veux plus voir ça compris ?
– Oui, répondit Ella.
– Oui, qui ? fulmina le surveillant après avoir roulé des yeux.
– Oui, Monsieur Navaron.
Comme les talons pour les filles étaient devenus coutumiers, Monsieur Navaron ne dit rien à Shaellah, bien qu’il pensât que les siens étaient un peu trop hauts. Par contre, il ne laissa pas passer la façon dont elle portait le haut de son uniforme. Les bretelles sur ses bras, remises au-dessus des épaules. Le tissu, tiré vers le haut pour cacher son décolleté et vers le bas pour dissimuler son nombril.
– Monsieur Lim Ledah, vous avez gardé le même uniforme que la veille, n’est-ce pas ?
– Oui, Monsieur Navaron, avoua-t-il.
– Ça se voit, il est froissé. Il serait préférable de se changer tous les jours. Nous avons du personnel pour la blanchisserie.
Pas d’objection pour Sun Abi, même si ses cheveux longs faillirent poser problème. Le regard du surveillant glissa sur les trois filles en bout de ligne.
– Il va falloir attacher ces cheveux, jeunes filles.
Alors que Précieuse manifestait son mécontentement, Monsieur Navaron se dirigea quelques mètres en arrière, vers une table de verre disposée devant la classe du jour, et sur laquelle se trouvaient divers accessoires, dont des élastiques. Il en prit trois et les donna aux filles. Ils étaient tout à fait laids et agressifs pour les cheveux, mais elles n’avaient guère le choix.
– Vous ne serez pas gênées pendant les cours ni au moment des repas, et cela vous fera gagner du temps dans votre toilette matinale. Ainsi vous arriverez à l’heure, la prochaine fois.
Sur la table de verre reposait aussi une bouteille longue, fine, opaque. Le surveillant prit la grosse cuillère couchée à côté. Le liquide qui s’écoula du goulot était épais et d’une couleur peu ragoûtante. Il fit signe aux élèves d’approcher un par un avant d’entrer en classe.
Le rituel ne comprenait pas seulement l’inspection ; une cuillère de cette mixture en début de journée devait remédier à leurs migraines promises par Monsieur Brun, garantir leur bonne santé et une concentration accrue. Sue nota l’information dans son cahier.
Ceux qui recrachèrent à cause du goût immonde avaient droit sans attendre à une seconde cuillère. Et si quelques gouttes se glissaient encore hors de leur bouche, ils gagnaient une troisième tournée. Aussi, les élèves apprirent que se pincer le nez, frotter sa langue avec sa main ou lécher sa manche n’atténuait en rien l’arrière-goût. C’était purement de la torture.
Les esprits qui se rebellaient devant une telle pratique se calmèrent en découvrant dans la classe la présence du Directeur Gidlant aux côtés de Monsieur Zirmi.
Il était venu pour donner aux élèves la primeur d’une expérience unique.
Comme tous les élèves étaient assis, attentifs, il se mit torse nu, provoquant gêne et curiosité. Logée dans le sternum, sa perle d’âme. C’était un sulfure bien plus imposant et plus complexe qu’une perle de rêve. Une vie l’animait à l’intérieur – nombre de vies même – de manière permanente, contrairement aux perles de rêve, dont la magie du filament lumineux s’estompait au bout de quelques heures.
Une somme de couleurs innombrables, reflétant chaque période de ses vies précédentes. Les bonnes actions gravées d’une couleur claire, les mauvaises d’une couleur foncée.
Perle d’âme, nombre de vies… La mixture de Monsieur Navaron faisait des miracles. Personne ne se prit d’une migraine malgré l’incompréhension générale.
– Le Directeur Gidlant est un homme qui mérite votre respect, dit Monsieur Zirmi. Pas seulement parce que c’est votre Directeur, mais parce que c’est une personne rare parmi les Nasyans…
– Allons, Monsieur Zirmi. Rien ne vous oblige à tant d’éloges à mon égard. Et pour vous épargner l’effort d’un discours forcé, je vous succède.
Monsieur Zirmi fut à la fois soulagé et vexé par l’intervention du Directeur. Afin de garder une certaine contenance, il s’écarta vers la bande vitrée, et régla le filtre de luminosité en tapotant dans un coin du verre. La classe sombra dans une obscurité qui laissait toutefois la bonne distinction des personnes.
– Je détiens l’archive la plus ancienne depuis que les perles d’âme ont été mises en place. Aussi, je suis en mesure de vous montrer l’inauguration du dôme intégral.