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Résumé :
Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 22)
Le Directeur pressa sa perle d’âme avec son pouce contre son sternum. Une projection holographique se créa devant lui, reproduction parfaite de sa perle indissociable de son corps. En manipulant de ses doigts cet hologramme, il afficha les données de toutes ses vies passées depuis la création des perles d’âme.
Cela ressemblait à une découpe superposée. Il dit aux élèves que chaque strate était une vie, et que toutes ces vies étaient disposées dans un ordre chronologique. En outre, on pouvait en sélectionner une, n’importe laquelle, pour en connaître les détails les plus intimes. Le Directeur fit défiler ses vies jusqu’à la toute première. Il appuya sur cette strate et, comme des sous-dossiers dans un dossier, étaient répertoriés les événements de sa vie par périodes de dix ans.
L’hologramme était une interface optimisée pour la consultation personnelle de sa perle d’âme. Alors, afin que les élèves puissent profiter de l’événement historique qu’il était venu leur montrer, le Directeur demanda à Monsieur Zirmi de baisser le tableau en toile de verre et de préparer le projecteur. Suite à quoi Gidlant monta sur la base du projecteur, cala son thorax contre la lentille de lecture, et des bras mécanisés vinrent se refermer autour de lui.
Sur le grand écran incurvé fut projetée l’image de son premier souvenir : sa mère le portant dans ses bras, et le regardant avec un large sourire. Les élèves, complètement immergés dans la projection, ressentaient la ferveur de la foule autour de la jeune maman. Puis l’image se figea pour permettre au Directeur de finir son discours.
– J’étais un nourrisson lors de cette journée magistrale, et je n’aurais gardé aucun souvenir si je n’avais pas vécu jusqu’à cent cinquante ans. Je suis décédé juste après que l’on m’ait greffé ma perle d’âme. J’ai enterré tous ceux qui avaient assisté à cet événement. Je garde en moi ces archives que personne n’a le moyen de partager autrement que par la parole.
Le Directeur libéra le cours des images, et les élèves eurent la version visuelle de ce que leur avait relaté Monsieur Brun la veille.
Au loin, sur la terrasse du deuxième étage de la Tour Royale, une personne avançait seule ; une clameur se propagea comme une onde de choc vers les oreilles sensibles du nourrisson qu’était jadis le Directeur Gidlant. Sa mère le protégea en le blottissant contre elle.
Les bras du roi Connrad s’étendirent et la foule proclama elle-même le silence. Le bébé faisait maintenant davantage de bruit que tous les fervents hommes entourant sa mère ; il observait la silhouette de l’homme sur la terrasse suspendue, ne distinguant seulement le mouvement de sa mâchoire.
Comme le discours du roi Connrad était fini, la clameur reprit de manière discontinue. Le bébé regardait sa mère suivre ce rythme d’une voix forte et enjouée.
L’image se figea.
– Voyez le roi Connrad, fit remarquer le Directeur Gidlant. Il rentre à l’intérieur de la Tour ; c’est à ce même deuxième étage que se trouve le système de commandement, qui contrôlait auparavant les bras magnétiques que vous allez voir. Aujourd’hui, c’est à partir de ce système que sont lancées les fusées du jour. Les commandes obéissent uniquement au roi Connrad et à son successeur le roi Sylar – qui nous gouverne actuellement.
L’image se ranima, laissant la vedette au déploiement bruyant des bras magnétiques. Ces derniers – d’un nombre impressionnant si l’on comptait les bras qui naissaient d’autres bras – s’extirpaient tout le long du corps de la Tour Royale pour s’étendre à l’horizon.
Puis, tous les globes situés sur chacune des articulations crépitèrent dangereusement. L’intensité du crépitement se transforma en éclairs visibles à l’œil nu et alors, ce fut le son agonisant des lourdes plaques de carbyne qui vint au premier plan du spectacle, s’arrachant à la terre de toutes les régions de NASYA. Chaque plaque dans le vide immense du ciel semblait aussi légère qu’une plume.
Les scientifiques retenaient leur souffle : leur algorithme magnétique guidait un ballet aérien de cent mille plaques de carbyne. Leurs ombres commençaient déjà à sevrer le peuple de leur soleil. Les dernières minutes furent longues et intenses ; les plaques ne semblaient plus bouger et pourtant la lente obturation de la lumière du jour attestait qu’elles se resserraient lentement entre elles. Et finalement, se solidariser de façon hermétique.