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Résumé :
Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 23)
Le bébé pleurait à cause de cette éclipse effrayante ; il n’était pas le seul à faire l’aveu de sa peur. Le chaos ne dura pas longtemps, mais les stigmates resteraient à jamais. Cette impression de vide dévorant les repères de la vie deviendrait la meilleure représentation de l’enfer dans la mémoire collective.
La Tour Royale s’illumina d’une série de points lumineux. Les canons allaient tirer pour la première fois les fusées du jour – ou les éclats de soleil, comme disaient les premiers admirateurs de cet événement. Puis les gens autour de la jeune femme portant son bébé se dispersaient avec ce drôle de sentiment mêlé de joie et de peur.
Le Directeur Gidlant se libéra du projecteur, appuya sur sa perle d’âme afin que l’hologramme revînt s’y loger à l’intérieur. Les élèves furent soulagés de le voir revêtir son haut et le virent quitter la classe sans un mot de plus, remettant le cours entre les mains de Monsieur Zirmi.
Monsieur Zirmi s’était drapé, en présence du Directeur, d’une convenance presque solennelle. Cependant, le naturel reprit le dessus ; sa façon de parler comme s’il était en colère faisait partie de son caractère.
– Vous croyez que l’intervention du Directeur Gidlant est un privilège ? Pour vous sûrement, pas pour moi. Chaque année il vient gâcher mon temps d’enseignement. Il pourrait très bien le faire au cours de Mademoiselle Losada, mais non ! Ou à celui de Monsieur le psychologue. Encore moins, puisque Monsieur le pseudo professeur d’histoire est contre l’apprentissage par l’intermédiaire d’une perle d’âme. Croyez-moi, ce n’est pas en lisant, en écrivant ou en écoutant sa voix monotone que vous allez vraiment apprendre.
Les élèves se partagèrent des regards surpris.
– L’Histoire, c’est la vérité, reprit le professeur. Les perles d’âme renferment la vérité ; il y a les vérités concernant ses propres vies – et cela sera le travail de Mademoiselle Losada – et il y a les vérités historiques. Tous les événements majeurs depuis la première génération ont été observés et seront toujours observables. Bien sûr, ce n’est pas une mauvaise chose que le Directeur vous ait montré l’inauguration du dôme intégral. Mais je ne trouve pas cela très… exaltant.
À son tour, Monsieur Zirmi dévoila son torse velu et musclé ; ses grands pectoraux se remirent en place comme il baissait les bras, surplombant un ventre plat et dur comme le roc. Ella et les sœurs Cervantes gloussèrent. Monsieur Zirmi porta son pouce à hauteur de son sternum, se plaça sur le projecteur qui le maintint fermement, et sa perle d’âme envoya sa reproduction holographique sur le tableau en toile de verre.
– Monsieur Brun vous a parlé des Sylvéides, j’espère ?
Des « oui » mal formés et hésitants flottèrent.
– Et vous a-t-il raconté quand le roi Connrad, pour éviter la révolte qui le guettait, est monté en haut de la Tour Royale avec un représentant du peuple, juste avant que l’invasion Sylvéide commence ?
Malgré la faible luminosité dans la classe, le professeur perçut des hochements de têtes.
– Comme je connais mon cher confrère, qui a du mal à m’accorder le moindre mérite, je suis sûr qu’il n’a pas précisé que le représentant en question, c’était moi. J’étais aux premières loges de l’invasion de ces pourritures : vous allez vous régaler !
Les élèves assistèrent à ce qui ressemblait à une séance filmographique, dans laquelle Monsieur Zirmi se ressemblait à lui-même. À côté de lui, le roi Connrad, plus grand et plus mince, coincé dans ses habits d’apparat. Ils montaient ensemble les étages de la Tour, escortés par des gardes et des ingénieurs. Au-dehors, la tension du peuple en colère était palpable.
Soudainement, la chute de la gravité surprit le monde sans préavis. Zirmi empoigna le tissu royal pour éviter que le roi Connrad ne s’envole malencontreusement par une fenêtre ; les gardes plaqués contre le plafond de la salle, et blessés dans la cohue par leurs propres armes blanches.
En retombant au sol, le roi et Zirmi se regardèrent, traversés d’un sentiment d’incompréhension autant que d’accusation mutuelle. Redescendant jusqu’à la terrasse du deuxième étage, ils contemplèrent l’étendue du carnage ; dans toutes les directions, la terre de NASYA se faisait l’autel des corps sans vie de ses habitants. Aussi, des individus inconscients, recrachés du ciel, tombèrent dans le silence mesquin de l’après-cataclysme.