
Catégorie :
Auteur :
Résumé :
Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 28)
Savez-vous qui a créé les perles d’âme ?
Personne ne se démarqua si ce n’est le jeune Sarrail qui leva le doigt.
Étrangement, quand Mademoiselle Losada lui donna la parole, Sarrail ne dit mot et baissa son bras. Le professeur ne se laissa pas déconcerter et continua.
– C’est l’un des sept élus du Chaddaï, raconta-t-elle. Le roi Connrad était inquiet : comment dissocier les hommes et les femmes de son peuple avec les Sylvéides qui avaient survécu au moyen de leur transformation humaine ? L’élu en question consacra sa magie pour capturer le cœur de toutes les âmes dans des perles, qu’il figea dans le vestige d’une bataille. Il assura au roi que tous ceux qui retrouveraient leur âme seraient confondus.
Mademoiselle Losada fit une pause, regarda l’ensemble des élèves.
– Vous savez déjà que le contenu d’une perle de rêve reste lisible seulement quelques heures. Comme tout ce qui est beau est éphémère, je vous invite à apprécier l’esthétisme dont fait preuve le Karm pour capturer votre parcelle d’âme. Qui veut commencer ? Monsieur Connrad, combien de rêves avez-vous faits cette nuit ?
– Trois, mademoiselle.
– Qui pensez-vous être ? Montrez-nous, je vous prie, la perle de rêve qui vous en convainc le plus.
Un sentiment désagréable parcourut Lim Ledah. Tout son être l’incita à partir de la classe, de l’école, sans jamais y revenir.
– Je crois que je vais être le sujet le plus facile et le plus intéressant à étudier, mademoiselle. Je suis le roi Connrad, et voici ce qui va vous en convaincre.
– Je suis curieuse de voir ça. Je préfère vous prévenir quand même que vous n’êtes pas le seul à porter ce prénom.
Quelques sourires s’esquissèrent.
Connrad s’aida de son sceptre pour se lever, confiant, et apporta la perle de rêve – d’une blancheur exquise – à Mademoiselle Losada. Il profita de la proximité du professeur pour admirer sa langue léchant sa perle de rêve. Elle expliqua que c’était pour éviter un problème de surchauffe de la lentille de lecture.
Le rêve projeté sur le tableau en toile de verre devint le centre de toutes les attentions. Il mettait en scène le roi Connrad, avachi sur son trône, les cheveux longs et blancs, l’air fatigué, mais des yeux bleus vifs comme ceux de l’adolescent. Le roi anoblissait un homme, celui qui allait le remplacer à la tête de NASYA : le roi Sylar. Les grandes familles assistaient à la passation de pouvoir avec une nostalgie précoce et un engouement qui tenait lieu de gratitude pour le règne du roi Connrad. Lui qui avait su poursuivre le projet extravagant du roi Volcis dans une justice humaine rare, malgré les soubresauts du peuple face à la peur de l’autarcie, de la pauvreté et de la mort. Le roi Connrad se leva du trône en s’appuyant sur son grand sceptre – orné pareil à celui de l’adolescent. Il laissa place au nouveau régent puis se retira en saluant la cour d’un geste qui donnait rendez-vous dans une prochaine vie.
La baie vitrée se libéra de son opacité, faisant jaillir avec force la lumière. Les pupilles se contractèrent.
– Effectivement, dit Mademoiselle Losada, il y a peu de doutes sur l’identité de Monsieur Connrad. La scène est nette, centrée sur le personnage du roi Connrad ; on peut reconnaître les yeux bleus, et le sceptre.
Le professeur appuyait ses propos en revenant en arrière sur la projection.
– La position de Monsieur Connrad est exceptionnellement simple, car il reprend son statut de roi dans toutes ses vies. Alors que pour vous autres, vous avez certainement eu différents parcours professionnels, sociaux. Même votre physique peut évoluer. Vous êtes sujets à tellement de variantes qu’il est facile de s’y perdre, mais il est vrai que pour Monsieur Connrad, il n’y a pas grand-chose à étudier.
Quoique je vous demanderais pour la prochaine fois, Monsieur Connrad, que vous m’appreniez pour quelle raison vous faites vos classes dans la région Épargnée alors qu’il est connu que vous étudiez toujours près de votre lieu de naissance, dans la région Écornée. Comme quoi on peut trouver des sujets fascinants, pas vrai ?
Quand Mademoiselle Losada affirma, au nom de tous, l’honneur d’être en présence du roi Connrad, des yeux se levèrent, exaspérés, d’autres galvanisés. Connrad rejoignit son pupitre sans le triomphe modeste.