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Résumé :
Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 29)
– Monsieur Lim Ledah ?
Lim se leva dans une franche baisse de luminosité. Il en profita pour tendre une main dans son dos et, passant à côté de Sun Abi, empoigna la perle de rêve qu’il sentit dans son creux. Il n’avait rien prévu pour l’exercice et commençait déjà à transpirer. C’était de l’improvisation, un domaine où il n’excellait pas vraiment.
Il réussit à détourner la question du professeur sur le personnage qu’il pensait être, et laissa parler, non sans appréhension, la perle de rêve.
Un jeune adolescent négligé se maquillait en tenant un morceau de verre brisé. Puis il adossa un sac en fibres crasseux et se positionna aux pieds des plus grands immeubles, où des travailleurs élégamment vêtus s’engouffraient dans un tumulte qui ne laissait aucun espace à la considération. Malgré tout, l’adolescent au maquillage coloré et aux vêtements délavés s’employait à son entreprise : il sortit de son sac des balles et des couteaux, jongla avec les uns et avec les autres, parfois les deux en même temps. Son chapeau d’optimiste – puisque profond –, posé devant lui n’attirait pas beaucoup les perles de rêve de ses futurs repas. Régulièrement, pendant ses tours d’adresse, il faisait jaillir un cri portant loin pour faire se rapprocher les hommes pressés.
Dans la classe, des pouffements se manifestèrent : Connrad et Simon en étaient l’épicentre. Mademoiselle Losada demanda le silence.
– Qu’en pensez-vous, Monsieur Lim Ledah ?
– Eh bien… j’étais un jeune artiste de rue qui n’a pas franchement de succès, répondit-il en regardant Sun Abi avec de gros yeux.
Sun Abi cacha son fou rire en plongeant sa tête sous ses bras croisés.
– En fait, c’est vraiment fascinant. Il y a un contraste étonnant dans ce rêve.
Elle revenait en arrière en accompagnant l’attention de Lim Ledah sur l’attitude des passants : ce n’étaient pas que des travailleurs affairés.
– Remarquez bien ces regards furtifs : ils ne sont pas indifférents, c’est tout le contraire. Vous êtes la cause de leur empressement. Parce que vous n’êtes qu’un enfant, un être sans perle d’âme. Ils ont peur de vous, ils ne veulent pas entrer en contact avec vous. Et ce qui est extraordinaire, c’est que vous ne seriez pas en train de mendier si vous étiez issu d’une famille riche et pourtant, vous êtes en dehors d’un pensionnat – ce qui est interdit à partir de dix ans.
Madame Losada conclut que chaque rêve, aussi insignifiant soit-il, recèle toujours une piste à creuser sur soi-même. Elle encouragea Lim Ledah à chercher la figure parentale.
Une fois assis sur son pupitre, Lim se pencha vers Sun Abi en le remerciant de ce cadeau ; ce à quoi son ami lui répondit qu’il avait de bien pires perles de rêve.
– Mademoiselle Shaellah ?
La jeune femme se leva et obtint l’arrêt des moqueries de Connrad et Simon en affirmant sans détour être une élue du Chaddaï. Lim Ledah et Sun Abi étaient estomaqués. Pourquoi jouait-elle avec son secret si imprudemment ?
– Qu’est-ce qui vous permet de le prétendre ? demanda Mademoiselle Losada.
– Certains de mes rêves me placent dans la peau d’une femme qui ressemble beaucoup à l’ange aux ailes orange que j’ai pu voir au cours de Monsieur Zirmi.
Les élèves et la professeure étaient impatients d’observer sa perle de rêve, tout en gardant une réserve qui déplut fortement à Shaellah.
C’était une femme qui ressemblait beaucoup à Shaellah, plus grande, et des courbes mûres. Elle courait dans une forêt, accompagnée d’une escouade de chasseurs en uniformes blancs – comme ceux qui les surveillaient en ce moment. Les armes des chasseurs lançaient des projectiles dans la direction d’un grand homme aux grands bras jusqu’à ce qu’il fût touché ; il trébucha, et la femme rousse lui dit « je sais que tu reviendras, mais je te traquerai et te tuerai encore. » Aussitôt, du feu s’éleva de sa main, s’enroula le long de son bras. Ses yeux semblèrent aussi enflammés. Elle écrasa toute cette énergie sur le grand homme qui brûla dans un vacarme bestial, quittant juste avant de mourir l’enveloppe humaine qu’il avait usurpée. Le feu s’éteignit à sa mort.