Catégorie : Fantastique/Merveilleux
Auteur : Lim
Résumé : Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 4)
– Ça va, Shaellah ? dit Lim Ledah en entrant dans son aura lumineuse.
Elle ne répondit pas.
– Sun Abi ?
– Ouais, ça va.
– Je suis désolé, dit Lim. Je ne l’ai pas senti subtiliser la perle…
Sun Abi libéra de la poussière en tapotant son uniforme. Puis il semblait en attente, regardant tour à tour Shaellah et Lim Ledah.
– Quelqu’un m’explique ?
Shaellah prit la parole.
– En dix-sept ans, personne ne m’a vue ainsi hormis mes parents, mais je préfère ne pas en parler, car ça va me mettre en colère. Et en l’espace de deux jours, vous voilà tous les deux dans la confidence…
– Comment, enfin… pourquoi ?
Sun Abi ne savait pas comment formuler sa question, il crut bon d’associer des gestes désignant les cheveux et les pommettes.
– C’est quand je ne maîtrise plus ma colère.
Shaellah essuya ses larmes ; l’intensité de son feu intérieur baissa d’un cran. Entourée par les deux garçons, elle se risqua à des regards en coin de part et d’autre pour sonder leurs pensées.
– On dirait que le jour va bientôt éclater, dit Lim Ledah.
Il ne la regardait pas, ses yeux avaient choisi des lumières, au loin, perçant successivement les ténèbres, ceinturant la Tour Royale. Quant à Sun Abi, il ne semblait pas choqué par son état singulier. Ce qui l’inquiétait le plus c’était le voleur de perle. Aussi, il rêva de ce que sa perle blanche lui aurait permis de s’offrir.
– Il ne faudra rien dire, dit Sun Abi. C’est dangereux de se taire, mais on n’a pas le choix. Si quelqu’un venait à savoir qu’un voleur de perle est venu ici, il y aurait une enquête. Le Directeur Gidlant et Monsieur Navaron sauront que Shaellah et moi étions présents alors qu’on n’a pas le droit de traverser la nuit. Mais ce n’est pas le plus grave…
– Comment pouvez-vous réagir aussi sereinement ! explosa Shaellah.
Un soubresaut enflammé les éclaira quelques instants.
– Mes propres parents ont hésité à m’abandonner dans le désert du sud, comme un animal. J’avais cinq ans, mais j’avais bien entendu. Ils ont eu peur de moi. Tout le monde a peur des enfants, là-bas, dans les villes. Mais moi, j’avais ça. Ils s’étaient mis d’accord pour oublier ; j’avais intérêt à ne pas laisser quiconque me revoir dans cet état. Mais vous, vous me regardez comme si j’étais normale.
– Tu peux avoir confiance en nous, on ne le dira à personne, dit Lim Ledah.
– Comment pourrais-je en être sûre ?
– Tout simplement parce que nous savons garder un secret. J’en ai un aussi.
– Lim ! objecta Sun Abi.
– Sun Abi est au courant depuis de longues années. Si je te le livre, ce serait une garantie suffisante ?
– Un échange de secrets…, réfléchit Shaellah.
Ses yeux restaient humides ; elle ne se sentait plus seule. Elle fit un signe de la tête. Le secret de Lim Ledah serait-il à la hauteur du sien ?
L’obscurité les enveloppa à l’essoufflement de sa colère. Cela facilita la confidence de Lim Ledah. C’était un peu comme s’il n’y avait plus d’auditoire, qu’il était face à lui-même.
– Bien. Voilà : je n’ai jamais rêvé.
– Jamais ? répondit gravement Shaellah.
– Jamais.
La jeune femme regarda Sun Abi, incrédule, puis se tourna vers la table de chevet près du lit. Elle ne distingua pas de Karm.
Troublée, parce que ne pas rêver était tout à fait anormal.
Finalement rassurée : son secret valait autant que le sien.
– Les secrets qui nous lient désormais feront-ils de nous des amis ? dit-elle.
Tous s’imaginèrent amis de longue date sans oser l’affirmer à haute voix.
Ils assistèrent au spectacle de la naissance du jour, tel qu’il fut depuis la première génération.
Tous les canons lumineux ceinturant une grande partie de la Tour Royale étaient de sortie. Des fusées brûlantes en furent propulsées, suivies d’un bruit faible et sourd. Cent canons tiraient cent fusées. Toutes les latitudes de NASYA étaient couvertes par des traînées de lumière annonçant un feu d’artifice géant. Toutes les fusées n’éclatèrent pas en même temps – sous peine d’aveugler toute la population ; le spectacle n’en était que plus beau. Dix mille petits soleils naissaient avec une vigueur intense.
Shaellah, Lim Ledah et Sun Abi se laissèrent éblouir, sourire aux lèvres. La chaleur caressa leurs visages.
Ils entendirent des enfants parcourir la cour principale en riant. Ouvrirent les yeux sur la forêt entourant le pensionnat, qui ne laissait plus distinguer la position des villes. Leurs regards se posèrent ensuite sur la clé de voûte de NASYA : la Tour Royale. Une forteresse noire qui s’élevait au plus haut du ciel, rejoignant, tel son pilier, l’immense armature en carbyne qui enveloppait la planète entière comme un dôme indestructible.