Catégorie : Fantastique/Merveilleux
Auteur : Lim
Résumé : Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 5)
C’était le dernier jour avant la reprise des cours.
Les enfants s’amusaient à en perdre haleine dans le secteur de la cour principale. Il y avait à leur disposition des chaises volantes, des balançoires, des jeux d’adresse et de force, des ateliers créatifs, des jeux de balle. Tout était fait pour leur bien-être. Le pensionnat en forme de U avait un style suranné, mais sa maçonnerie lui donnait un charme atypique. Les trois bâtiments principaux abritaient dans leurs cours des variétés colorées de fleurs et d’arbres fruitiers.
Il n’était pas rare d’entendre les enfants chanter et se lancer dans des chorégraphies de groupes.
Sun Abi et Lim étaient trop grands pour tant d’insouciance, cependant ils regardaient leurs cadets avec un œil nostalgique. Aussi, l’événement de cette nuit participait à leur réserve.
– Pourquoi t’a-t-elle appelé Lim ? dit Sun Abi.
Lim Ledah haussa les épaules.
– Je ne l’ai rencontrée qu’il y a quelques jours. Je marchais sans regarder devant moi, je l’ai bousculée, et sa tablette en forme de couronne s’est explosée par terre.
– Et elle ne t’a pas cogné ?
– Non, mais elle était en colère, il y avait toutes les données de sa vie au pensionnat : les cours des années précédentes, les conversations avec ses amis, les personnalisations de son miroir, le code de passage de sa chambre… Et puis elle s’est mise à courir avant que je n’aie eu le temps de m’excuser. Je l’ai retrouvée cachée à l’angle d’un couloir ; ses cheveux et ses pommettes s’embrasaient, comme tu as pu le voir. Elle m’a regardé d’une façon étrange, j’ai compris qu’elle ne voulait pas que j’ébruite son secret. Elle est revenue me voir le lendemain pour exiger réparation pour sa tablette cassée.
– D’accord, je comprends mieux pourquoi elle a ta montre et ton code de passage. Elle a perdu ses données alors elle t’a retiré les tiennes. Œil pour œil, dent pour dent.
Ils observèrent la plupart des enfants s’agglutiner devant le grand portail du pensionnat.
– Les voilà de retour… fit Sun Abi avec dédain. C’est l’heure du défilé.
À partir de dix ans, tout enfant avait l’interdiction formelle de quitter le pensionnat. Cependant, une poignée d’enfants privilégiés outrepassaient cette règle ; soit parce qu’ils étaient le rejeton d’une famille de haut rang social, soit parce que leurs perles de rêve, ébauches de vies antérieures, prouvaient qu’ils avaient été une personne importante sur NASYA.
Malheureusement, les innombrables perles de rêve marron de Sun Abi dessinaient un destin médiocre, un rang social perpétuellement bas voire très bas. Il n’avait donc jamais eu l’autorisation de revoir sa famille pendant les vacances. Quant à Lim Ledah, il n’avait jamais vu ses parents, n’avait jamais franchi le portail du pensionnat.
– Huit ans sans les voir, dit Sun Abi.
– Je sais, compatit Lim. Tes parents te manquent.
– Je me demande s’ils ont changé par rapport au souvenir que je garde d’eux.
– Ils doivent probablement se poser la même question.
Sun Abi acquiesça.
– Est-ce que tu te souviens comment c’est à l’extérieur ? continua Lim Ledah.
– Pas vraiment, admit Sun Abi. Mais il me reste une impression pesante. L’ambiance de la ville était étrange. Peut-être que mon jeune esprit a extrapolé cette sensation. Les gens regardaient les enfants comme moi d’une façon malsaine. En fait, je crois qu’ils avaient peur de nous, et qu’ils nous haïssaient pour ça.
Lim Ledah haussa les sourcils.
– Oui, je sais, reprit Sun Abi. C’est débile.
Tous deux regardèrent le ballet des enfants rois en silence.
L’envie se mêlant à la frustration donnait un goût disgracieux. Le défilé était joli à voir, certes : des véhicules de luxe se garaient près du grand portail sans émettre le moindre son. Au loin, d’autres roulaient au ralenti en approchant le pensionnat, suivant la courbe des derniers virages ; cela dessinait un tableau majestueux, comme si le roi en personne, escorté par sa cour, rendait une visite officielle au pensionnat le plus reculé de son royaume, dans cette région de l’ouest surnommée la région Épargnée de NASYA.