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Résumé : Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 6)
Monsieur Navaron, le surveillant général, un homme distingué et droit dans ses bottes, accueillait les arrivants au grand portail. Il les saluait d’un ton grave en les appelant par leur prénom, précédé de la mention monsieur ou mademoiselle. C’était la personne de la plus grande taille en ces lieux ; cela constituait une part de son autorité. Ses petites lunettes rondes écrasées sur ses petits yeux noirs lui en ôtaient une autre.
Il attendait, droit, imperturbable.
Lim Ledah, Sun Abi, et d’autres élèves se moquaient des comportements maniérés, des airs suffisants, des baisers avec leurs parents sans se toucher les joues, des démarches travaillées pour mettre en valeur costumes et robes.
Connrad remportait la palme à ce petit jeu ; il arriva à bord d’un véhicule deux fois plus long et plus haut que les autres, lustré à l’excès. Il était assis sur le toit ouvrant comme sur un trône. Le torse fier, il ne lui manquait qu’un sceptre et une couronne. En fait, il avait un chapeau noir incrusté de pierres précieuses et un sceptre finement sculpté plus vrai que nature ; il s’en servait comme d’une canne, car sa jambe droite ne lui obéissait plus très bien. Il ne faisait aucun doute de son appartenance à l’une des familles les plus riches de NASYA.
Arriva ensuite un garçon très jeune conduisant un véhicule une place – qui ne touchait pas tout à fait le sol – et qui faisait un bruit tel que tout le monde se retourna sur lui. Les enfants de riches se moquèrent de ce vieux modèle, à la tôle sale et abîmée. Il se gara au milieu des autres véhicules et se dirigea vers l’entrée du pensionnat sans prêter attention à ce qui se passait autour de lui.
Connrad – énervé que les regards se soient détournés de sa personne – lui demanda son nom. Le garçon continua sa marche comme s’il n’avait rien entendu. Cela le rendit plus furieux encore, mais il se contint pour ne pas donner l’image de quelqu’un qui s’emporte facilement. Il lui donnait peut-être treize ans.
– Tu es sûr d’avoir l’âge de conduire cet engin ? lui lança-t-il finalement comme une menace.
– J’ai l’âge que je désire, répondit le garçon d’une façon aussi étrange que son attitude.
Le surveillant Navaron remit ses lunettes au plus proche de ses yeux et referma lentement le grand portail d’entrée. Son œil sévère semblait défier les parents, qui secouaient leurs mains à l’attention de leurs rejetons. Tout le monde avait l’habitude de ses attitudes envolées, parfois mystérieuses, parfois menaçantes. Il avait toute une gamme de comportements et personne ne seraient surpris s’il avait été un jour acteur de théâtre. Il s’en amusait beaucoup malgré ses expressions faciales sévères.
Une cloche sonna pendant plusieurs minutes. Les vacances étaient terminées, et l’on sentait déjà le poids de l’année scolaire à venir. Les rires moins francs et le déplacement discipliné des élèves.
– Tu crois qu’ils vont nous juger prêts pour la dernière année ? dit Sun Abi.
– Je ne pense pas non. Mais on devrait…
– Ouais, je sais… Aller acheter de nouvelles fournitures chez le vieux.
Les passages en classe supérieure dépendaient de l’âge, à l’exception de la dernière année, celle qui permettait de quitter le pensionnat en adulte. C’était le Directeur qui donnait une liste de douze élèves, sélectionnés en concertation avec les professeurs et le surveillant général.
Dans le bâtiment central, reliant l’aile ouest et l’aile est, Lim Ledah et Sun Abi entrèrent chez « le vieux » – comme tout le monde l’appelait en raison de son âge avancé. Une pièce circulaire très haute de plafond, mitoyenne de la grande bibliothèque. Au centre et tout le long des murs trônaient des étagères amovibles remplies à l’extrême de tout ce qu’un élève pouvait avoir besoin au quotidien, que ce soit scolaire ou personnel. Cela allait des stylos, uniformes, en passant par des médicaments ou du papier toilette.
Il y avait du monde, les deux amis n’étaient pas les seuls à s’y prendre au dernier moment. Le vieux les accueillit derrière son comptoir – sans arrêter d’emballer l’achat d’un élève – d’un sourire franc et glaçant. Il était bizarre ce bonhomme bien que personne ne s’en était jamais plaint. Un honnête commerçant. Il demandait même des nouvelles d’élèves qu’il voyait souvent à cause de leurs problèmes de santé – ou bien de leur manque de délicatesse –, qui les obligeait à racheter médicaments ou fournitures. Non, il était admis que le vieux était sympathique, à défaut de savoir quel terme employer. Personne ne semblait l’avoir vu jeune un jour, comme en témoignait le professeur d’histoire – qui avait lui-même une bonne cinquantaine d’années : à l’époque de son enfance dans ce même pensionnat, le vieux s’appelait déjà le vieux.
– Je vous ai vus entrer dans ma boutique ! cria le vieux à l’adresse de jeunes âmes. Si vous n’achetez rien et que vous me faites perdre mon temps, vous repartirez sans savoir quelle malédiction je vous aurai jetée !
Puis il toussa après avoir ri gras.
Lim Ledah et Sun Abi se rappelaient de la première fois chez le vieux, à quel point ils avaient été terrorisés par cette phrase. Ils ne lui prêtaient plus attention, mais ils compatissaient pour les nouveaux venus.