
Catégorie :
Auteur :
Résumé : Les gens de la ville ont peur des enfants. C’est pourquoi ces derniers vivent dans des pensionnats clos jusqu’à leur maturité.
Les douze élèves sélectionnés en classe de dernière année sont isolés du reste des enfants, puis présentés à quatre professeurs, chargés de les préparer à des vérités volontairement cachées. Ils suivent les cours sous une surveillance armée. Apprennent l’histoire de NASYA, leur monde ; la raison pour laquelle un dôme l’enveloppe entièrement. Étudient leurs rêves – ébauches de vies antérieures – à partir de perles conçues durant leur sommeil.
Les Perles de Nasya (Partie 7)
Il leur fallait un nouvel uniforme, car les dernière année devaient porter un veston à capuche dorée : le dernier avant d’entrer dans le monde des adultes, avant de pouvoir vivre en ville et revoir sa famille. Ils devenaient les doyens des élèves. Quelque part, c’était excitant.
Les deux amis se tordirent le cou tellement il y avait de pantalons et de vestons du sol au plafond, sur des étagères aléatoirement dépoussiérées. Il y en avait de tout état : des propres – tout juste sortis de fabrication –, d’autres déjà portés l’année passée par des enfants victimes de leur poussée de croissance, et d’autres carrément crades, qui avaient dû être portés par les élèves d’une autre génération. Tous les prix étaient bien indiqués en bas de chaque article. C’était à se demander si le vieux étiquetait lui-même en utilisant l’une des grandes échelles ou s’il employait quelqu’un d’autre. Ce devait être long et fastidieux. Les mauvais esprits pensaient qu’il obligeait des élèves à faire ce travail et qu’il leur faisait garder le secret.
Les prix variaient entre dix et trente perles de rêve marron pour un pantalon et des chaussures, et entre cinq et cinquante perles de rêve marron pour le veston.
Les perles de rêve étaient la monnaie officielle de NASYA, on apprenait de cette façon aux enfants à s’y familiariser. La valeur de la perle dépendait de sa qualité et surtout de sa couleur. La couleur marron avait moins de valeur que les autres couleurs communes, c’était la monnaie de référence pour les petits budgets.
– Bon, fit Sun Abi en touchant la fine matière d’un pantalon. Ce n’est pas comme si on avait le choix.
– Je suis désolé, dit Lim Ledah.
Les garçons choisirent rapidement leur uniforme parmi les premiers prix, selon leur taille. Ils savaient d’avance que le tissu allait leur gratter les jambes et leur former des rougeurs au niveau du col.
Ils avaient déjà acheté leurs tablettes. Elles servaient à inscrire leurs cours et les sauvegarder. Il en existait des petites, jusqu’au format le plus grand. Le prix évoluait aussi selon sa capacité de stockage. La tablette la plus performante permettait – moyennant un prix démesuré – de tenir l’ensemble de sa scolarité sans panne. Lim Ledah et Sun Abi avaient acheté une tablette de format moyen avec la capacité d’une année de cours. C’était suffisant et pas trop cher.
Il y avait une autre fonction qui jouait sur le prix et la popularité. Lorsqu’on éteignait une tablette, elle pouvait se miniaturiser de différentes façons pour faciliter son transport. Par exemple en bracelet pour les garçons, en barrette pour les filles. Il y avait une dizaine de possibilités : bagues, colliers, couronnes, lunettes…
Pendant que Sun Abi rejoignait la file au comptoir du vieux pour encaisser leurs achats, Lim Ledah choisissait un nouveau stylo connecté. Avec l’affluence croissante d’élèves, la pièce devenait une étuve et il était plus difficile de se frayer un chemin.
Lim avait l’air de marcher à contresens, à se demander s’il y en avait vraiment un. Arrivé à l’une des étagères du centre de la pièce, il se tenait devant un présentoir avec une tablette d’essai. À hauteur de ses yeux étaient accrochés différents stylos, tous identiques, mais de prix différents. Lim Ledah choisit le moins cher et lut la note d’informations indiquée sur l’écran de la tablette.
Étape une, choisir un stylo. C’était fait.
Étape deux, le prendre en main. Lim Ledah était gaucher, il prit le stylo et appuya sur le connecteur. C’était un bouton qui déclenchait un mécanisme de fixation entre l’objet et l’élève, et qui s’enfonçait juste à l’endroit de la peau molle entre le pouce et l’index.
Il se souvenait avoir eu un mal de chien la toute première fois. Mais une fois capuche verte, cela ne faisait plus mal, la peau finissait par s’habituer.
Étape trois, poser la pointe du stylo sur le livre.
Et enfin, dernière étape, se concentrer sur cette phrase afin de vérifier la bonne transmission des capteurs.
Lim Ledah traça une ligne sur toute la largeur en lisant la dernière étape. Puis, l’encre se propagea comme des affluents se séparant de leur rivière. Des lettres se formèrent : se concentrer sur cette phrase afin de vérifier la bonne transmission des capteurs. Impeccable, pour cinq perles de rêve marron il était rare de trouver quelque chose d’aussi fiable, pensa Lim Ledah. Il y a deux ans, il en avait acheté un au même prix et l’avait maudit toute l’année. Ses cours n’avaient plus eu aucun sens : des mots manquants à ceux mal transmis, c’était une catastrophe. Il avait dû se résigner à écrire avec un stylo traditionnel comme on n’en faisait plus depuis longtemps – ce qui était plus long et fastidieux.