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Résumé : Que se passe-t-il quand on se branche un stylo ?
Opération : écrivain (Partie 1)
– Voilà madame, l’opération est réussie !
– Super. Puis-je essayer tout de suite d’écrire ?
– Vous avez raison, il faut vérifier que ça fonctionne. Et nous allons tout vous expliquer.
Je fus déplié, vierge encore. Puis on m’injecta, via un long fil qui courait sur tout un bras, jusqu’à la tête, l’encre nécessaire pour que je puisse me mettre en route. Ma propriétaire me considérait avec curiosité. Je ressentis un flux en moi, et voulus me mettre en action, mais malheureusement, ce n’était pas à moi de décider d’écrire. Ma propriétaire me regardait, moi, le fil qui me liait à elle. Il était très long, peut-être était-ce pour cela ?
– C’est vrai que ce type d’opération n’est pas si commun, dit encore un homme en blouse blanche. Les graphomanes ne sont pas monnaie courante…
– Pourquoi, est-ce donc si rare ? Moi, ça m’étonne toujours…
– Même les listes de courses ne sont plus écrites à la main.
– Les gens ne comprennent pas. Ne me comprennent pas, déclara ma propriétaire. Et alors, toutes les connexions sont-elles faites, sous mes cheveux ?
On vérifia mon circuit pour la énième fois.
– C’est bon. On va vous trouver une feuille de papier.
Je sentais bien que j’allais enfin démarrer. J’éprouvais déjà l’impatience de la jeune femme, signe que la connexion avec son cerveau était au point. Elle se leva, et s’assit à un petit bureau, à côté de la salle d’opération. Nous eûmes le même frémissement. ÉCRIRE ! Nous nous lançâmes avec ardeur. Ma propriétaire était de plus en plus excitée, et cela transparut dans la page que nous écrivîmes, en cinq minutes à peine. La connexion entre nous était si parfaite, que nous signâmes « Violette Brédier », sans l’ombre d’une hésitation de ma part.
– Il vous faudra un temps pour vous habituer, malgré tout, reprit l’homme en blouse blanche. Mais d’ici quelques temps, vous irez à la vitesse voulue. Celle de la pensée…
– Oui, celle de la pensée… répéta Violette, ravie, fascinée par l’expérience que nous commencions à entreprendre.
– Nous allons vous donner des seringues d’encre, et un kit de nettoyage. Vous avez vu comment mettre de l’encre ?
– Oui, merci. Au pire, mon compagnon, ou quelqu’un d’autre, fera les intrafilaires. En tout cas, ça ne fait pas mal du tout.
– Il n’y a pas de raison, au contraire. Mais au moindre problème, venez nous voir.
– Merci professeur.
Et Violette et moi sortîmes, très fiers tous les deux. Elle m’avait replié pour pouvoir utiliser sa main, et put ainsi appuyer sur le bouton de l’ascenseur, ce qui me fit un drôle d’effet. Mais notre collaboration serait fructueuse…
– Tu as fait une folie, Violette. Comment vas-tu te laver, par exemple ? Et si tu te prends le fil dans le moindre truc qui dépasse, la poignée d’une porte ?
– Ne t’inquiète pas, maman. Le fil est collé sur mon bras, et on m’a tout bien expliqué.
Madame Brédier me regardait bizarrement.
– Ces histoires d’augmentation du corps me dépassent, avoua-t-elle.
– Il y en a bien qui ont une antenne sur la tête, fit remarquer un jeune homme. Ma sœur est moins con que ça, elle se fait greffer un stylo pour mettre du beurre dans les épinards !
– Alors tu vas écrire à la vitesse de la pensée… reprit madame Brédier.
– Le frisson de l’écriture, maman.
– Eh bien, j’espère que tu sais ce que tu fais. Mais tu ne m’ôteras pas de l’idée qu’il doit y avoir un risque quelque part. Je ne sais pas quoi, mais je ne suis pas tranquille.
Et madame Brédier regarda l’homme qui partageait sa vie. Celui-ci, d’entrée de jeu, avait aussi fait la grimace en nous voyant, Violette et moi. Il haussa les épaules.
– Tu ne nous as pas écoutés et tu as voulu faire à ta façon. Ta concession à la modernité ne me plaît pas.
– Il faut vivre avec son temps, papa.
– Je revendique d’être un vieux croûton !
Le fils de la maison éclata de rire.
– En plus, reprit monsieur Brédier, ta couleur blonde est complètement ratée, une fois de plus, et tu es toujours maquillée comme une voiture volée ! Et maintenant, ça ! Il ne manquerait plus qu’un piercing Dieu sait où !
– Mais j’écris comme vous, rétorqua Violette, piquée au vif. Je lis de vrais livres, même, j’en vends !
– Ne te fâche pas, mon chéri. Nous avons prévenu Violette, mais elle a fait à sa tête, comme d’habitude. Après tout, elle est une vraie adulte, vingt-cinq ans ! C’est malheureusement l’âge pour ce genre de bêtises…
– Eh bien, j’espère que son prochain roman lui remboursera les frais de l’opération.
– Walter m’a aidée aussi, avoua Violette. Je verrai bien ce qu’il dira, lui. Il saura m’aimer, même augmentée. Malgré le visage que je cache, papa.
– À tout prendre, je préfère ça, plutôt que tu te fasses refaire le visage, reconnut madame Brédier. Même si j’aurais mieux compris…