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Que se passe-t-il quand on se branche un stylo ?
Opération : écrivain (Partie 2)
Violette eut un gros soupir.
– Puisque c’est ainsi, je crois que je vais rentrer… Walter comprendra, lui.
– Excuse ton père, c’est un vieux réac’.
Violette tenta de sourire, but maladroitement de l’eau dépolluée dans un verre. Le contact avec le verre me déplaisait plutôt.
– Tu es sûre, tu ne veux pas rester ? reprit madame Brédier.
– À quoi bon ? Seul Aymeric a l’air de comprendre, ici.
– C’est un truc de jeunes, fit péremptoirement monsieur Brédier. Lui, il a un tatouage, comme une bête à l’abattoir…
– Papa, je t’en prie ! fit le jeune homme.
Violette ne s’attarda pas. Son humeur avait changé, elle ruminait. Je préférai me tenir tranquille, de toute façon j’étais replié.
En revanche, Walter m’observa avec curiosité.
– C’est formidable, cette technologie… Et que vas-tu écrire, maintenant ?
– Je ne sais pas encore très bien. Mais je voudrais que ce soit un best-seller, pour faire les pieds à mon père.
– Notre époque aussi est formidable. J’aime ta coquetterie d’écrire à la main…
– J’ai toujours fait ainsi. Avec mes parents, je n’avais pas le choix, et il a fallu attendre une quinzaine d’années pour que ce type d’opération existe. L’écriture à la main m’aide, je ressentais déjà une meilleure connexion avec les vieux Bic.
– C’est cette antiquité, que tu t’es greffée ?
– Non, c’est plus moderne.
– Surtout avec ce fil, fit remarquer Walter.
– On n’a jamais vu un Bic avec un fil relié au cerveau… Le professeur dit que c’est rare, comme opération.
– Tu me fascines.
– Merci, c’est gentil mon chéri.
– Et y a-t-il des précautions à prendre ? On ne sait jamais…
– La vraie difficulté, c’est l’encre.
– Bon, on verra. De toute façon, je trouve ça génial. Depuis le temps que tu en rêvais…
Violette sourit en me regardant, et Walter la serra dans ses bras.
– Ma petite femme bionique.
Je sentis Violette frémir sous le baiser. Plus tard, allongés, ils firent des choses bizarres. Avant cela, ma propriétaire écrivit avec moi, d’autant plus facilement qu’il s’agissait de son journal intime. Ses sentiments m’inondèrent, et je transcrivis le contenu de sa pensée sur le papier avec beaucoup d’aisance, mais régulièrement, Violette faisait des pauses, ce que je ne m’expliquais pas. Je voulais aller encore plus vite ! Le sentait-elle ? Un organisme humain est assez complexe, et je ne le comprenais pas encore très bien.
Le lendemain, première surprise : la sonnerie du réveil. Ma propriétaire et son compagnon sautèrent, échangèrent un baiser et se levèrent. Walter baillait, et Violette avait du mal à ne pas refermer les yeux. Je crus comprendre que l’opération de la veille l’avait fatiguée. Du reste, elle l’avait consigné dans son journal intime. Il allait falloir faire preuve d’intelligence. Je me retrouvai, plus tard, dans un endroit saturé de livres. Violette en trimbalait encore et encore, des cartons entiers, et elle les disposait ensuite sur des rayons. Régulièrement, elle m’utilisait pour noter des chiffres, des titres sur du papier, rien de suivi. Bien que souvent replié, je ressentais le besoin de me mettre en action. Un peu plus tard, ce fut encore pire : des gens arrivaient, choisissaient des livres, et repartaient après avoir touché un écran, ce qui ne nécessitait rien de ma part. Aussi, à la pause de midi, sentant quelque chose de bizarre, Violette m’utilisa vraiment, écrivit deux pages entières de réflexions diverses. Cela nous fit du bien à tous les deux, je le sentais bien. Elle était à un coin de table, et on nous regardait, fascinés.
– Alors ça y est, tu l’as fait ? fit une jeune femme au visage fin, coiffée d’un chignon. C’est si rare, les gens qui écrivent ainsi…
– C’est l’avenir, décréta quelqu’un d’autre.
– Pardon ?
Violette était très étonnée.
– Parce que tu connais d’autres graphomanes ? demanda-t-elle.
– Oui, mes grands-parents, et tous les gens de leur génération, répondit l’homme. Tant qu’ils seront en vie, l’écriture manuscrite ne mourra pas. Et des gens comme toi, Violette. Tu es jeune.
Elle me regarda avec un sourire. Son collègue était plus âgé qu’elle, et il avait des grands-parents qui écrivaient à la main !