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« L’homme n’est pas éternel et c’est justement parce qu’il est humain qu’il veut le devenir. Qu’importe que cela soit par vanité, par cupidité ou même par amour : il n’arrêtera jamais de poursuivre l’immortalité. » « Oui, et quand il l’aura ? » « … eh bien il cherchera autre chose. »
Parce que nous sommes mortels…
Encore aujourd’hui il est dans son atelier à feuilleter, à chercher quelques sombres secrets. Il ne trouvera pas de réponse, encore. Combien de siècles accompagnent sa quête ? Combien d’années persistera-t-il encore ? Lui-même soupire en y songeant, le nez plongé dans ses bouquins à la reliure de cuir sombre… Il est sans doute temps d’une petite pause ?
Il se lève, pose son livre au milieu de tous les autres. Il regarde le plafond et rit de lui-même.
« L’homme est une créature stupide, insipide mais persistante. Un coup il veut tout savoir, tout voir, tout faire, l’instant d’après il renonce… puis repart de plus belle. Mais comprend-il seulement la nature de ses envies ? »
Il baisse la tête, se tourne, et avise un coin de la pièce encombrée. Là, un tas de lingots d’or le regarde, le nargue de sa belle couleur et de son attrait qui attire toujours plus de convoitise. Il attrape machinalement un de ces lingots qui lui retourne malicieusement son propre reflet. Croisant son propre regard, vieux et fatigué, un sentiment puissant s’empare brusquement de lui : il jette violemment le métal, pourtant si précieux, sur le sol. Ce faisant, il est pris, non pas du remord d’avoir jeté l’objet, mais de celui de s’être simplement laissé aller à une pulsion de colère.
« L’homme cherche à dépasser sa condition d’homme. Il veut brider ses faiblesses, devenir quelque machine sans sentiment, uniquement pour remplir ses ambitions pourtant poussées par sa nature humaine. L’homme est contradictoire. »
Il ramasse le lingot et le regarde à nouveau avec une franche curiosité.
« À quoi bon transformer le plomb en or ? Me voici bien avancé avec tous mes cailloux brillants. »
Il semble quelque peu exaspéré. Il lève un doigt qu’il pose sur l’or puis, d’un geste brusque, en frotte la surface. L’or, pourtant si brillant, laisse place à ce qu’il était avant sa transformation : du plomb.
« Voilà qui est bien mieux. »
Il paraît réellement satisfait et pose le morceau de plomb un peu n’importe où dans son grand bazar. Il veut faire la même chose avec le reste des lingots d’or puis se souvient de quelque chose d’insaisissable et attrape une petite pierre rougeâtre qui traîne.
« La pierre philosophale. L’élixir de longue vie. La quête de l’immortalité… »
Sa fascination n’est que de courte durée. Il finit par regarder cette pierre avec une sorte de dégoût.
« Inutile aussi. »
Il jette la pierre. Qu’importe s’il la perd, il n’en a pas besoin. Soudainement, une envie lui monte à la tête. Il sort de chez lui, se rend dans son jardin. Son regard se fait hagard.
« Je ne sais pas si tu te souviens de ma quête d’antan. Ma soif de connaissances, de richesses, d’immortalité… Toutes ces choses que j’ai fini par acquérir. Regarde moi, toutes ces années vécues, toutes ces acquisitions, à quoi bon ? Que suis-je devenu ? Un vieux fou qui cherche encore une solution qu’il n’aura jamais ? Parce que c’est cela la nature humaine. Cet espoir qui ronge, qui pousse à avancer même si une partie de nous sait que certaines choses sont irrémédiables. Et à juste titre. Pour qui est-ce que je me suis pris ? Pour qui est-ce que je me prends encore ? J’ai combattu les lois de dame Nature, j’ai vécu au delà du temps qui m’était imparti à ma naissance. Je n’ai d’humain que mes sentiments. Et ce sont ces derniers qui me poussent pourtant à lutter encore. Je suis stupide, insipide et pourtant persistant. La nature de mes envies n’est qu’offense et sacrilège. Je suis allé au delà de l’homme que j’étais mais je n’ai pas réussi à me réduire à l’état de machine parce que je sais que sinon, je n’aurais plus de raison de vivre. Sans ambition, l’homme n’est rien. Je ne veux pas être rien… Oui, j’ai réussi. Mais à quel prix ? La solitude éternelle ? Je ne dois plus être seul. Je ne veux plus. ».
Son ton est résigné, espérant et pourtant déterminé. Sa main caresse une jolie stèle toute en marbre blanc. Avec une douceur désespérée, il fait voyager ses doigts sur des mots soigneusement gravés à même la pierre.
Ci-gît Marie, ma tendre femme
Morte de maladie trop tôt pour que je l’en sauve.
À toi mon épouse, ma moitié,
Je te fais la promesse d’un jour te ramener.