Philomène (Partie 1)

PhilomèneCatégorie : Littérature sentimentale

Auteur : Flora Lune

Résumé : Philomène aurait dû être aimée. En la nommant de la sorte, c’est sans doute ce que ses parents souhaitaient pour elle. Oui, mais voilà, des parents, Philomène n’en avait plus. Ou n’en avait jamais eu. Car si elle en avait eu, plus aucun élément aujourd’hui ne permettait de prouver leur existence, comme s’ils avaient été définitivement effacés de la surface de la Terre. Philomène vivait donc là où vont les enfants qui n’ont pas de maison. Elle n’avait jamais été malheureuse là-bas, ni jamais vraiment heureuse, mais qu’importe : elle n’avait jamais connu que cet endroit.

 

 

Philomène (Partie 1)

Philomène n’a jamais été moche. Elle n’a jamais été très jolie non plus. Pas très grande pour son âge, ni spécialement petite. Quelques kilos superflus, sans toutefois pouvoir parler de réel surpoids. Elle avait des cheveux assez longs, ni tout à fait raides, ni tout à fait bouclés, ni tout à fait bruns, ni tout à fait blonds, d’une couleur indéfinissable et pourtant assez répandue que l’on pouvait presque appeler châtain. Philomène était une jeune fille tout à fait quelconque. Sauf ses yeux. Ses yeux étaient d’une couleur très rare, située entre le bleu foncé et le mauve. Sa seule particularité sur le plan physique, son joyau.

Philomène aurait dû être aimée. En la nommant de la sorte, c’est sans doute ce que ses parents souhaitaient pour elle. Oui, mais voilà, des parents, Philomène n’en avait plus. Ou n’en avait jamais eu. Car si elle en avait eu, plus aucun élément aujourd’hui ne permettait de prouver leur existence, comme s’ils avaient été définitivement effacés de la surface de la Terre. Philomène vivait donc là où vont les enfants qui n’ont pas de maison. Elle n’avait jamais été malheureuse là-bas, ni jamais vraiment heureuse, mais qu’importe : elle n’avait jamais connu que cet endroit.

Chloé et Isaure étaient déjà parties dîner. À vrai dire, il y avait déjà un bon quart d’heure que les enfants avaient été appelés. Juste un chapitre, avait dit Philomène alors que ses camarades sortaient de la chambre et se mêlaient à la foule.

« Bon, Philomène, tu viens maintenant. »

Philomène leva la tête. Julien était venu la chercher. Philomène ne l’avait pas entendu entrer.

« C’est toujours toi qu’on attend, continua Julien. La prochaine fois, c’est l’avertissement.

Philomène ne dit rien et se contenta de suivre Julien hors de la chambre. Ensemble, ils descendirent les escaliers de pierre, traversèrent un long couloir sombre recouvert de vieux lino, et pénétrèrent dans le réfectoire. Presque tous les pensionnaires mangeaient déjà. Philomène se munit d’un plateau et commença à se servir.

Lorsque son assiette fut remplie de purée et de rôti de veau, elle s’assit à l’une des seules places libres qu’elle trouva, c’est-à-dire à une table de huit occupée seulement par Elisabeth, Paul et Julie. Lorsque Philomène posa son plateau sur la table, Julie et Elisabeth lui jetèrent un bref coup d’œil. Paul ne la regarda même pas. Philomène ne s’en préoccupa pas plus qu’elle ne le faisait d’habitude et entama son repas.

C’était vendredi soir, et les enfants n’avaient pas école le lendemain. Aussi, leur accordait-on le droit de rester dans la salle commune jusqu’à vingt-deux heures trente. Pour ceux du groupe des quinze à dix-huit ans, c’était un droit, que les pensionnaires pouvaient choisir d’utiliser ou non. Pour tous les plus jeunes, c’était un devoir. Les éducateurs voulaient les avoir à l’œil.

La veillée avait commencé depuis quelques minutes lorsque Philomène prétexta un passage aux toilettes pour quitter la salle commune. Elle se dirigea vers les toilettes des filles, puis, une fois sûre de ne plus être surveillée par Nadia, elle bifurqua et prit les escaliers pour regagner sa chambre. Là, elle s’installa sur son lit et se replongea dans son roman. Elle n’entendit bientôt plus le silence seulement brisé par les bruits de plomberie et les bribes de conversation inintelligibles qui provenaient du niveau inférieur.

« Tu sais que tu n’es pas censée être là ? »

Philomène interrompit sa lecture.

« Toi non plus, répliqua-t-elle. C’est le couloir des filles.
« Tu vas le dire ? »
« Et toi ? »
« Non. »
« Moi non plus. »

Un court silence s’installa. Les deux adolescents se regardèrent.

« Tu t’appelles comment ? »
« Philomène. »

Le garçon parut surpris. Il s’attendait sans doute à un « et toi ? ». Mais, elle n’en avait pas besoin. Personne ne connaissait Philomène, car personne ne lui parlait jamais. Mais Philomène, elle, connaissait tout le monde, même si elle ne parlait jamais à personne.

« Moi c’est Clément. »
« Je sais. »

Il parut encore plus surpris.

« Comment ? »
« On est dans la même classe. »
« Ah…oui, c’est vrai. Bon… Bonne soirée. »
« Bonne soirée. »

Clément retourna dans la salle commune et Philomène à son silence solitaire. Lorsque Chloé et Isaure revinrent, Philomène n’était plus là. Elle se trouvait dans un monde peuplé de créatures multicolores et polymorphes, un monde où ne vivait aucun humain mais où elle n’était pas seule. Ses camarades prirent soin de ne pas la réveiller.

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