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Quand l’écrivain sort de sa coquille…
Secrets d’écrivain (Partie 4)
Un ange est passé dans mon salon, et, comme souvent quand je suis pris par les souvenirs, il m’est venu autre chose en tête. J’ai cru devoir dire quelque chose.
– Voulez-vous visiter Rixthéa ?
– Mais cette planète n’existe pas ! rétorqua Léo.
– Elle existe. Tout ce que j’imagine existe. Regardez sur le mur derrière vous.
Mais mes dessins les intriguèrent plus qu’autre chose. Ainsi, nous n’étions pas dans le même monde… J’insistai :
– Et vous, quelle est votre planète Rixthéa ?
– Cet appartement, monsieur Lelong, répondit Alice après une brève réflexion.
– Mais je crois que je vois ce que vous voulez dire. C’est la face cachée de la Lune. Moi aussi je la regarde en rêvant. La Lune, je veux dire.
Je me sentis rougir, ayant l’impression d’être démasqué. Mais je voulais retourner sur la Lune, sur Rixthéa ou au Mexique, en compagnie de mes amis de papier, les seuls. Et aussi Charles Martel, un de mes nombreux alter ego.
– Excusez-moi, vous êtes peiné ? s’enquit Alice.
– Ce n’est rien. Je… vous vouliez connaître mes secrets de fabrication…
– Oh oui, s’il vous plaît ! réagit aussitôt Léo.
Sa réaction m’amusa, alors je leur expliquai un peu comment je m’y prenais, précisant bien que chaque écrivain développait, avec le temps, sa propre méthode. Tous deux étaient très intéressés, posaient des questions. Léo s’est enhardi à me demander quelle était ma formation. Il a été tout étonné, quand je lui ai expliqué que j’avais étudié l’histoire à l’université, puis fait une école de journalisme.
– Mais c’était pour mieux réécrire l’histoire, ai-je conclu, sans dire que j’aurais voulu retourner dans le passé pour retrouver mes parents.
– C’est… fascinant, a dit Alice. Avec l’histoire, vous faites vraiment des histoires.
– Je ne regrette pas du tout mes années d’étudiant. Et j’espère qu’il en sera de même pour vous, Léo.
Il m’a souri pour toute réponse. Je les ai fait parler d’eux aussi, tous les deux, jusqu’à ce qu’Alice se rappelle de ses filles, qui apparemment l’attendaient à la maison. Ils ont pris congé, confus tous deux. Mais si j’ai serré la main de Léo, j’ai fait un baiser franc sur la joue d’Alice. Elle a un peu rougi, mais a fait comme si de rien n’était. Ça ne fait rien, j’ai son numéro de téléphone…
14 avril.
Je suis revenu de la province… et mon premier soin a été, une fois avec le bel Apollon, d’appeler Alice. Elle a répondu présente, et je l’ai retrouvée, le cœur battant la chamade, comme un gamin, là où nous avions pris un pot avec son frère. Je n’en reviens toujours pas, de ma part. Tout d’un coup, j’étais plus propre, bien peigné, de nouvelles baskets aux pieds. Je n’ai pas eu de vraie histoire depuis plus de dix ans… Je l’ai retrouvée rayonnante, dans une petite robe orange.
– Monsieur Lelong ! Quel plaisir de vous revoir !
Je lui ai maladroitement tendu mes fleurs, et elle est devenue aussi rouge que mes tulipes.
– Il ne fallait pas !
– Je vous trouve très… jolie, ai-je balbutié. J’essaye de redescendre de Rixthéa… ou de la Lune, où on est fort bien, vous savez. Excusez-moi si j’ai l’air empoté…
– Pas du tout !
– Vous avez le droit de m’envoyer promener… Je ne suis qu’un vieux râleur.
– Vieux ? Mais vous vous êtes fait beau… Excusez-moi, mais quel âge avez-vous ?
– Pas loin de cinquante ans.
– Non, en vrai. Seriez-vous plus coquet que moi ? J’ai trente-sept ans.
– Alors, fis-je en essayant de paraître naturel, j’ai quarante-huit ans.
– Je me disais bien que vous ne faisiez pas votre âge. Je ne savais pas que les coquetteries d’écrivain allaient jusque-là…
– Je me suis rendu compte que j’étais dans ma bulle. Je veux bien faire un effort et redescendre sur Terre. Pour vous. Tout le temps que j’ai été absent de Paris, j’ai pensé à vous.
Alice m’a regardé, a baissé le nez sur les tulipes, et puis le serveur est arrivé pour nous tirer d’embarras tous les deux.
– Remarquez, ça me fait plaisir, me dit-elle une fois que le serveur a eu le dos tourné. Moi aussi j’ai pensé à vous.