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Résumé :
L’humanité est contrôlée : ses moindres faits et gestes sont surveillés. Stéphane travaille dans un centre qui aide au maintien de cette société totalitaire, en vérifiant que chaque individu possède des papiers en règle. Alors qu’il doit traiter le dossier d’un nouveau client, il se rend compte que sa vie ne lui plaît plus et que ce système extrémiste le tue à petit feu. Que sera-t-il prêt à sacrifier pour changer de vie ?
Une signature ou la vie (Partie 3)
Sur un bloc-notes, j’inscrivis quelques mots que je lui demandai de lire en silence, par des gestes saccadés du menton. J’essayai de maintenir la tête haute et de garder une attitude neutre pour que les caméras ne s’intéressent pas particulièrement à mon bureau, entouré de trois petits murs blancs insipides, sur lesquels nous n’avions même pas le droit d’afficher des cadres ou photos de famille. Stanislas lut rapidement les mots, prit un stylo et répondit à ma question muette sans bruit, laissant l’encre me révéler ce que je désirais savoir. Je lus sa réponse, lui décochai un sourire furtif et jetai le post-it à la poubelle.
— Je vous remercie, Stanislas. J’ai bien enregistré votre demande d’adhésion, déclarai-je d’une voix claire. Vous serez bientôt membre du Centre de Signature Droit’O’But, chez qui les documents sont même compris des enfants ! terminai-je en citant la devise de mon entreprise.
Un slogan qui me donnait de l’urticaire.
— Merci à vous.
Stanislas se leva et me serra la main. À la manière d’un gentleman, il abaissa son chapeau avant de m’envoyer un clin d’œil amical. Je lui répondis par un signe de la main puis me rassis, un peu sonné. Il dépassa l’angle du couloir et disparut de mon champ de vision. Sa démarche sûre témoignait d’une grande confiance en lui. J’avais du mal à imaginer, certainement à cause de son costume, qu’il provenait d’un pays en proie aux conflits. Son attitude ne laissait rien paraître des possibles douleurs qu’il avait dû surmonter.
Je créai le compte de Stanislas sur notre serveur. J’y indiquai que les photocopies des documents d’identité arriveraient plus tard. Cela ne m’était jamais arrivé. J’avais droit à deux semaines de délai. Je ne savais plus très bien ce que je faisais, ni pourquoi je ne comptais pas dénoncer cet individu aux autorités pour qu’ils vérifient ses dires. Avais-je pitié de lui ? Ses origines me donnaient-elles envie d’en apprendre plus et de l’aider à devenir un citoyen modèle ? Cela me fit bien rire. Je n’avais rien du citoyen modèle. Bien que je connaisse toutes les procédures, j’essayais sans cesse d’y réchapper et de croire à un peu de liberté. Les dernières paroles de Sandra me revinrent en mémoire : « Tu râles, tu te plains toujours des procédures, mais tu ne fais rien pour les changer. Tu te voiles tout le temps la face. Finalement, je n’ai jamais su qui tu étais vraiment ».
Nous étions pourtant restés trois ans ensemble. Ses derniers mots m’avaient brisé le cœur. Je n’y avais pas songé de la journée. Devant l’absence de clientèle, je me permis quelques minutes de réflexion. Qui étais-je vraiment ? Je me sentais insipide, inutile. En dehors de mon boulot, je n’avais aucune motivation, aucune passion. Je passais mon temps devant la télé, à m’abrutir l’esprit. Je n’avais jamais pris le temps de me questionner et de me comprendre. La venue de cet individu différent, à la vie, je n’en doutais pas, palpitante, m’avait donné envie d’en savoir plus et de poser des questions indiscrètes. Cela ne me ressemblait pas. Que se passait-il donc ? Son quotidien, contrairement au mien, ne semblait pas catalogué ou sans surprise, même si la guerre n’avait évidemment rien d’enviable.
— Stéphane ?
Marlène me sortit une nouvelle fois de mes pensées, cette fois-ci via mon interphone.
— Un nouveau client est arrivé et tu es le seul disponible, puis-je te l’envoyer ?
— Oui, oui, c’est bon, dis-je avant de couper brutalement la communication.
À Droit’O’But, nous n’avions jamais aucun temps libre pour réfléchir tranquillement sur notre existence. J’aperçus la cliente arriver, un petit chien sur les talons. Sa démarche guindée m’irrita. Je croisai les bras en l’observant approcher. Son tailleur la boudinait au niveau du ventre et des cuisses ; son air pincé ne m’attira aucune sympathie. J’essayai tout de même de rester courtois, pour l’image de la marque avant tout.
— Bonjour, Madame, fis-je en souriant et en lui tendant la main qu’elle me serra avec enthousiasme.
— Bien le bonjour, Monsieur !
Son ton guilleret exagéré m’exaspéra. Ne pouvait-elle pas parler normalement ? Son petit chien dans les bras, elle attendit que je valide ses papiers d’identité, alignés sur la table, pour que l’on poursuive. Je me détournai de l’écran. J’allai lui signifier que tout était en ordre quand elle me devança.
— Je viens pour changer de couleur de cheveux.
Je fermai la bouche et regardai ses cheveux blonds et droits qui n’avaient rien d’extraordinaire. Quelques mèches blanches garnissaient ses tempes.