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Résumé :
L’humanité est contrôlée : ses moindres faits et gestes sont surveillés. Stéphane travaille dans un centre qui aide au maintien de cette société totalitaire, en vérifiant que chaque individu possède des papiers en règle. Alors qu’il doit traiter le dossier d’un nouveau client, il se rend compte que sa vie ne lui plaît plus et que ce système extrémiste le tue à petit feu. Que sera-t-il prêt à sacrifier pour changer de vie ?
Une signature ou la vie (Partie 5)
Elle entreprit de trier des documents tandis que je culpabilisai et pour mes comportements minables de la journée, et pour mon mensonge. Marlène était une fille sympathique qui cherchait seulement à bien faire. Tout comme moi.
— Je peux t’aider si tu veux, proposai-je. J’ai encore quelques minutes devant moi.
— Oh, non, merci, tu peux y aller. Sinon, tu vas louper ta réservation. Je ne pense pas que tu apprécierais de recevoir un avertissement.
— Je n’en ai jamais eu, me surpris-je à dire, me détestant aussitôt pour mes attitudes de premier de la classe. Et toi ?
— Oui, plusieurs ! Mais ils ont tous été justifiés et donc supprimés de mon dossier, me confia-t-elle sur le ton de la confidence.
— Je ne te pensais pas comme ça, murmurai-je à moi-même.
— Pardon ?
— Rien, rien, me repris-je en vitesse. Je vais y aller, alors. Bon courage, Marlène, et bonne soirée.
— Bonne soirée, Stéphane ! me lança-t-elle avec le sourire charmeur qu’elle offrait à tous les clients.
Je fréquentais Marlène depuis cinq ans et je n’avais jamais su pour ses avertissements. Peut-être avait-elle même obtenu des blâmes ! Qui savait ? On ne connaissait finalement jamais vraiment les gens que l’on côtoyait. Cela me procura des réflexions intéressantes tout le long du trajet. Je ralentis le pas pour ne pas arriver en avance. L’orage grondait au loin et des éclairs illuminaient le ciel gris. J’avais prévu mon imperméable, au cas où. Je me plongeai dans l’admiration des buildings brillants sous les nuages éclairés, et des passants qui rentraient de leur travail. La plupart regardaient le sol, tout en écoutant de la musique ou en pianotant sur leur portable.
Je l’aperçus alors, imperturbable sous l’enseigne clignotante du bar, avec son beau chapeau et costume élégant. J’avais eu peur qu’il ait oublié ou qu’il ne souhaite me revoir. Mes épaules se détendirent d’un coup. Il me salua, apparemment ravi de passer la soirée à mes côtés. Nous entrâmes nous installer après avoir fait valider notre réservation par le gérant du café. Stanislas me raconta qu’il avait passé sa journée à attendre en centre administratif afin d’obtenir sa nouvelle carte d’identité. Il semblait ravi d’avoir visité le quartier d’affaires, qu’il trouvait apparemment splendide et indubitablement moderne. Concentré sur mon objectif, j’essayai de masquer ma joie d’être en sa présence et m’empressai de casser l’ambiance.
— Faites attention aux avertissements et aux blâmes, lui expliquai-je, après que nous ayons vidé deux verres.
— Je ne comprends pas.
— Si vous signez un document et que vous n’en respectez pas les termes, attendez-vous à des représailles de la part de ceux qui vous espionnent. Je voulais dire, de ceux qui vous contrôlent.
— Je ne pense pas que changer la date de rendez-vous chez un coiffeur ou l’heure d’une réservation dans un restaurant, soient considérés comme des actes répréhensibles par les autorités.
— Détrompez-vous, m’emportai-je en pointant un doigt tremblotant vers lui, aidé par l’alcool.
Je continuai en lui décrivant des procès terribles durant lesquels des personnes se faisaient tuer sur la place publique, pour avoir oublié de signer des contrats (j’exagérai un peu mais l’idée était là), ou en lui détaillant la stupidité des émissions citoyennes que l’on était obligé de regarder, sous peine d’obtenir de mauvaises notes lors des quiz inévitables qui arrivaient par courrier ou mail.
Je me proposai de l’aider en tout et de faire en sorte qu’il s’intègre parfaitement parmi nous. Il accepta volontiers et je ressentis que ma sollicitude le touchait. Après un troisième verre, je ne pus m’empêcher de lui expliquer ma lassitude ainsi que le fait qu’il ne supporterait certainement pas de vivre une vie réglée et routinière, sans surprise, alors qu’il avait été libre dans sa vie passée.
— Vous savez, vous n’êtes pas vraiment libre non plus dans un pays en guerre. Vous ne pouvez pas aller là où vous le souhaitez, vous ne pouvez pas acheter ce que vous voulez et vous devez protéger votre vie, ainsi que celle de ceux que vous aimez. Vous êtes constamment sur le qui-vive, sans cesse en proie aux pires angoisses et parfois obligés de vous battre pour un camp dont les idées vous échappent ou qui ne vous intéressent tout simplement pas.
Je n’avais jamais songé à cela. Notre gouvernement non permissif et ultra-protecteur nous permettait au moins de ne pas avoir à subir de conflits de ce genre et de vivre en paix.
— Je suis désolé, parvins-je à dire, après un long silence. Je n’aurais jamais songé, euh…
— Ce n’est pas grave, énonça Stanislas d’une voix douce et chaleureuse, qui m’aida à me sentir moins bête.
— Je n’ai rien trouvé sur votre conflit, vous savez, continuai-je, sentant que la tête me tournait. On ne peut pas faire confiance aux journalistes, totalement corrompus, oui, corrompus, répétai-je plusieurs fois, outrepassant ma peur que les espions ne m’entendent via les multiples caméras.