
Catégorie :
Auteur :
Résumé :
L’humanité est contrôlée : ses moindres faits et gestes sont surveillés. Stéphane travaille dans un centre qui aide au maintien de cette société totalitaire, en vérifiant que chaque individu possède des papiers en règle. Alors qu’il doit traiter le dossier d’un nouveau client, il se rend compte que sa vie ne lui plaît plus et que ce système extrémiste le tue à petit feu. Que sera-t-il prêt à sacrifier pour changer de vie ?
Une signature ou la vie (Partie 6)
— Dites-vous que c’est peut-être une énième façon de vous protéger ? Les images de guerre n’apportent que désespoir ou colère.
Stanislas posa l’une de ses mains sur mon épaule et ce geste m’apaisa. Il commanda d’autres verres. Je ne réussis plus à le suivre après le cinquième. Cet homme savait boire et supportait bien l’alcool. Comment faisait-il ?
— Et que faites-vous des libertés ? De nos libertés ? m’emportai-je de nouveau. La liberté de penser, dans tout ça, hein ? Qu’est-ce qu’on fait de la liberté de penser ?
Des citoyens attablés près de nous arrêtèrent de rire et affichèrent une mine agacée.
— Je crois que le barman aimerait que vous baissiez d’un ton, Stéphane, me dit Stanislas en se retournant vers le bar pour envoyer un signe d’excuse, faisant de même avec les personnes de la table voisine.
— Oh, désolé, je dérive, dis-je doucement, confus, avant de m’affaler sur l’un des fauteuils. Je crois que je fatigue.
— Votre fatigue semble également morale. J’ai l’impression étrange d’être finalement plus heureux que vous, alors que je n’ai plus de chez moi.
Il avait raison et cette constatation me fit du mal. Je ne me sentais ni à l’abri ni en sécurité là où je vivais. Tout me déplaisait, jusqu’à mon travail ou la moindre de mes relations. Je me haïssais également. J’étais loin de ressembler à mes héros de romans préférés, qui se battaient pour la justice et qui pouvaient risquer leur vie pour sauver leur monde ou leur famille. Je ne parvenais même pas à décourager Stanislas de s’installer ici. Il semblait bien plus sain d’esprit que moi. Des larmes chaudes coulèrent sur mes joues. Je ne pus les arrêter. Comme souvent, je ne savais que me lamenter sur ma condition.
Stanislas, en rien mal à l’aise, me transmit un mouchoir en me souriant tendrement, comme si j’étais un enfant. Peut-être l’étais-je après tout. Il s’approcha de moi et prit l’une de mes mains dans les siennes.
— Vous me touchez, Stéphane. Vous voulez m’aider et j’ai envie de vous rendre la pareille. Que seriez-vous prêt à faire pour changer de vie si je vous accompagnais dans ce processus ?
— Je serais prêt à tout, répondis-je du tac au tac. J’accepterais quelques avertissements, voire des blâmes, si le bonheur était au bout du chemin.
Stanislas ne répondit rien mais je le sentis sourire alors que je fermais les yeux, complètement groggy par l’alcool et la sensation de ne plus être seul.
**
Je me réveillai le lendemain matin, dans mon lit, avec un mal de tête carabiné. La lumière du soleil m’agressa. Je me maudis de ne pas avoir fermé les volets. Je laissai échapper un râle sauvage avant de me couvrir la tête de mon drap. Je me penchai sur le côté pour pouvoir lire l’heure sur mon réveil et fus rassuré. Il me restait encore une bonne demi-heure avant de devoir me lever pour me préparer à aller travailler. Je n’avais aucune envie d’y aller. Je ne voulais pas citer la devise de Droit’O’But qui m’horripilait, je ne souhaitais plus voir tous ces sourires niais et stupides sur la tête de mes collègues, qui ne se rendaient pas compte de leur statut d’esclave de la société, et je ne désirais plus répondre hypocritement à mes clients. Étonnamment, seule la perspective de revoir Marlène me faisait plaisir. Depuis que Sandra avait déserté ma vie, elle m’apparaissait plus sympathique. Je fermai les yeux pour me rendormir quelques instants avant la sonnerie fatidique.
— Stéphane ?
— Quoi ? Quoi ? Que se passe-t-il ? criai-je, réveillé en sursaut par la voix de… Marlène ?
Que fichait-elle chez moi ? Que… ? Je me couvris prestement de mon drap, me rappelant que je dormais nu. Stanislas, toujours aussi classe et propre sur lui, l’accompagnait. Il me tendit de quoi me vêtir. Je rougis jusqu’aux oreilles en le remerciant. Marlène se dirigea vers la cuisine pour me laisser un peu d’espace le temps que je m’habille. Comment étaient-ils rentrés chez moi ? Que me voulaient-ils ? Avais-je commis une bêtise, cette nuit, à cause de l’alcool ? Stanislas s’assit sur mon lit, près de moi. Je devais avoir une mine affreuse. Je passai une main dans mes cheveux pour les aplatir.
— Tout va bien, Stéphane. Nous devions vous parler. Je m’excuse d’être entré chez vous sans votre autorisation. Me pardonnerez-vous ?
— Cela dépend, dis-je sur la défensive. Avez-vous…
— Marlène a préparé un document de visite qu’il vous reste à signer pour justifier notre présence chez vous.
Je me levai et allai récupérer mon stylo fétiche pour signer son document. Marlène connaissait les procédures aussi bien que moi. Cela me détendit. Par ce signe, je leur signifiai que je les pardonnais mais que j’attendais également des réponses. Marlène revint dans la pièce et me sourit en baissant la tête. Je devinais qu’elle désirait s’excuser mais je balayai ses intentions d’un signe de la main.