A deux, ils visitèrent la petite maison qu’occupait la victime. Seul l’extérieur en briques rouges était accueillant. L’intérieur, en revanche, triste, presque vide, fissuré, branlant, grinçant et froid faisait peine à voir. Morrigane avait vécu dans une misère absolue sans autre confort que la plomberie rouillée et l’électricité transportée par des fils dont on voyait le cuivre. La traversée de l’intérieur les mena à un jardin odorant aux teintes ardentes. Devant leurs yeux étonnés s’étalaient des petites primevères pourpres, des queues-de-renard amarante et veloutées, des morgelines aux pétales vermeils, des fleurs incarnats d’adonis d’automne, des rhododendrons, de majestueuses tulipes d’Agen, des géraniums sanguins, de larges fleurs écarlates de pavots douteux, de très nombreuses inflorescences de valérianes rouges, des compagnons de la même couleur, des coquelicots et des adonis d’été également appelés « gouttes de sang ». Enjambant les allées, de magnifiques roses empourprées avaient grimpé le long de deux pergolas.
Ces teintes chaudes inspiraient des pensées érotiques à Cinabre qui fit descendre sa main sur la hanche de Blanche qui le repoussa doucement. Elle venait d’apercevoir, posé à même la terre devant l’un des plants qui se trouvaient devant eux, un morceau de papier blanc sur lequel étaient écrits quelques mots en rouge. Elle le montra à son compagnon qui s’en saisit. Ensemble, ils lurent :
« Cherchez aussi avec la viande, les poissons, les pivoines, le vin et le poivron. »
Perplexes, ils observèrent cette phrase quelques secondes, admirèrent encore un peu le jardin puis s’en allèrent.
Ce n’est que le matin suivant qu’ils revirent Lavande. Elle apportait avec elle un peu de la chaleur extérieure et des documents qui provoquèrent l’éruption des sentiments belliqueux que Cinabre n’avait jusque-là partagé qu’avec Blanche. Il s’agissait de relevés de compte qui prouvaient que Morrigane avait une sérieuse dépendance au jeu et qui expliquaient son besoin chronique d’argent pour lequel elle se prostituait.
Cependant, Lavande refusait d’expliquer comment elle se les était procurée.
« Vous ne les avez pas volés, quand même ? explosa-t-il en se levant de son fauteuil situé entre son bureau et une fenêtre.
-Bien sûr que non ! »
Cinabre rougissait tant qu’il commençait à ressembler à un lion qui rugissait.
« J’en ai marre de votre indépendance ! Regardez, Blanche ! Elle travaille en collaboration avec moi, elle !
-Je ne crois pas être un bon exemple, Rubens … »
Il fusilla du regard sa collègue qui était assise à un deuxième bureau, en face de la porte d’entrée et d’une banquette en velours. Elle reporta aussitôt son attention sur ce qu’elle était en train de lire. Lavande, debout au milieu de la pièce, non loin de deux étagères en bois sombre remplies de dossiers en carton ponceau, souriait effrontément, ce qui avait pour effet d’exaspérer encore plus son interlocuteur dont le visage brillait de petites gouttes de sueur.
« Ne me regardez pas comme ça ! ordonna-t-il, toujours debout, alors qu’une des petites veines violacées de sa tempe gauche palpitait sans qu’il puisse la contrôler. Défendez-vous !
-Sûrement pas ! Ça ne servirait à rien, répondit-elle froidement. Vous aimez râler et vous défouler sur ceux qui ne vous reviennent pas. Cependant, continua-t-elle, comme j’ai la parole, j’en profite pour vous montrer ce que j’ai déniché, en plus de ces preuves. »
Elle lui tendit un bout de papier qu’il identifia instantanément sans même avoir lu ce qui y était inscrit une fois de plus en rouge. Il s’agissait en effet d’un troisième mot.
« Dans son enfer, elle manquait d’argent alors que le diable tirait sur elle à boulets de rubis. »
« Mais où avez-vous trouvez ça ? Vous avez intérêt à me le dire ! » déclara-t-il en la secouant vigoureusement.
Blanche rejoignit Cinabre à côté de son bureau pour, à son tour, lire le mot.
« Vos yeux menacent de sortir de leurs orbites, affirma Lavande en se dégageant des mains de Cinabre. C’est le signal pour moi de partir ! »
Elle sortit en claquant la porte, ce qui le porta au comble de la frustration.
« Ce billet est encore plus mystérieux que les deux autres, déclara Blanche en le relisant. Le meurtrier veut peut-être nous aider mais il perd son temps …
-… Et nous fait perdre le nôtre ! »