Septième et dernier jour

Tout commença un matin où Mme Delaroche alla chercher son courier. Dans sa boîte aux lettres, elle trouva une enveloppe non timbrée sur laquelle était écrit « à ma femme de l’au-delà ». Intriguée, Mme Delaroche revint à l’intérieur de sa somptueuse demeure et décacheta l’enveloppe. Elle lut ces quelques lignes :

« Vous êtes ma femme

Vous m’appartenez

Dans la vie

Comme dans la mort.

Le maître de votre vie »

Mme Delaroche fut choquée et pensa à une mauvaise plaisanterie.

Cette femme d’âge mûr n’avait ni mari, ni enfant, elle vivait seule dans une grande maison de trois étages léguée, avec une fortune considérable, par ses parents qui l’avaient meublée de façon très distinguée. Des lambris vernis avaient été disposés sur certains murs et à chaque plafond de la maison. Tous les meubles étaient en bois sombre et nombre d’entre eux étaient d’époque. Des bibelots agrémentaient la décoration des pièces déjà surchargées et des portraits ou de natures mortes ornaient les murs non lambrissés. Mme Delaroche aimait beaucoup sa maison qu’elle trouvait chaleureuse. Elle ne l’aurait jamais vendue car ses ancêtres y avaient vécu.

Beaucoup de personnes étaient présentes dans la vie de Mme Delaroche mais aucune n’habitait son village. Lorsqu’elle était chez elle, elle ne voyait qu’une seule personne, le facteur qui passait chaque matin.

Malgré sa richesse, elle n’avait aucun domestique ; elle aimait à penser qu’elle s’occupait très bien toute seule d’elle-même et de sa maison. Sa vie était jusqu’ici des plus banales. Elle aimait sortir avec ses amis et mettre des tenues de soirée pour aller à des cocktails mais il lui arrivait également de profiter du calme de sa maison et de rester tranquillement chez elle, avec ses habitudes.

Elle n’était ni belle, ni laide ; ses longs cheveux noirs, toujours tressés en une seule natte et ses yeux de la même couleur étaient les seuls vestiges d’une descendance asiatique éloignée.

Après avoir lu ses quelques lignes, Mme Delaroche se demanda quelques instants qui pouvait lui écrire de telles choses puis elle n’y pensa plus jusqu’à ce qu’elle trouve, le lendemain, dans son courrier, une autre enveloppe. Elle lut le message suivant :

« C’est pour bientôt

Nous nous retrouverons

Je ne sais comment

Mais nous nous aimerons

Car notre monde sera parfait.

Le maître de votre vie »

Mme Delaroche se doutait qu’elle avait déjà rencontré le « maître de sa vie » mais ne voyait pas du tout qui cela pouvait être. Elle avait bien sûr pensé à son dévoué facteur mais il semblait si gentil et si respectueux qu’elle cessa de l’accuser. Les billets étaient de plus en plus intrigants et terrifiants. Le cinquième jour, elle reçut ses mots :

« Notre amour est proche

Son commencement sera notre fin

Nous serons condamnés à l’amour éternel

Sous la bienveillance

d’une âme supérieure

Qui nous accueillera dans son paradis.

Le maître de notre vie »

En lisant ces mots, Mme Delaroche imagina que l’inconnu était amoureux d’elle et voulait la tuer puis se tuer lui-même pour qu’ils s’aiment d’un amour éternel dans l’au-delà.

Les strophes d’un goût singulier furent deux fois encore glissées dans la boîte aux lettres de Mme Delaroche. La dernière disait ceci :

« Nous y sommes

C’est le dernier grand jour

Demain, nous volerons

Ensemble pour l’éternité

Et plus rien ne nous séparera

Je vous aime et ferai tout

Pour que vous m’aimiez aussi.

Le maître de notre vie »

Il s’agissait du septième mot, du septième jour. Mme Delaroche avait tellement peur du lendemain qu’elle s’enferma à clé dans sa chambre, au troisième étage, en ayant pris soin de fermer à clé toute les portes qui y menaient et tous les volets de son ancestrale demeure. Elle était, lui semblait-il, bien protégée.

Le lendemain, le facteur, tard dans la matinée, sonna à la porte d’entrée pour un colis mais personne ne répondit. Mû par un mauvais pressentiment, car il savait que Mme Delaroche ne partait jamais en vacances, il alla chercher deux agents de police et un serrurier et entra dans le hall de la maison. Comme personne ne répondait à ses appels, il décida de faire le tour de la maison avec les policiers et les serruriers.

Leur progression fut lente et difficile mais les quatre hommes entrèrent finalement dans une chambre dont les volets étaient clos et où ne figuraient que deux meubles : un lit en bois sombre et ouvragé recouvert d’un couvre-lit rouge duveteux, du baldaquin duquel pendaient des fanfreluches également rouges et un secrétaire Louis XVI.

Sur le sol, gisait Mme Delaroche, en tenue de soirée, étranglée. Il n’y avait cependant dans la pièce aucune corde, aucun lacet, aucun fil électrique, rien qui permette d’étrangler quelqu’un. Seul détail inhabituel, les sept messages étaient régulièrement disposés sur le sol, tout autour d’elle.

L’enquête ne montra qu’une seule chose : l’écriture des billets était celle de Mme Delaroche.

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