Catégorie : Littérature sentimentale
Auteur : Flora Lune
Résumé : Aël écoutait et observait beaucoup. Elle parlait aussi, mais prononçait peu de mots. C’est pourquoi, qu’on la connût bien ou mal, on lui attribuait, à tort ou à raison, un tempérament réservé. De plus, il était fréquent que sa place en cours fût vide, mais aucun de ses camarades ne pouvait dire pourquoi, bien que de nombreuses hypothèses eussent été formulées à ce sujet. Le plus étrange aux yeux de tous, y compris de certains de ses professeurs, était qu’Aël, malgré ses absences répétées, eût réussi à passer aisément en classe de seconde… alors qu’elle n’avait pas tout à fait treize ans à l’époque. Non, décidément, Aël ne pouvait pas appartenir à ce monde.
Aël (Partie 1)
Aël avait été comparée à un ange dès ses plus jeunes années. Pour son physique en premier lieu, pour sa peau rosée, ses cheveux d’or, cadeau de feue sa grand-mère, et qui couvraient désormais l’intégralité de son dos. Pour ses yeux d’un bleu irréel, autre héritage de son aïeule, mais aussi pour son calme et sa douceur, sa présence rassurante, et toute la chaleur qui émanait d’elle. Mais aussi, sans doute, pour le mystère qui planait constamment autour d’elle, et qu’elle entretenait sans même s’en apercevoir. Elle était toujours un peu à l’écart, et se joignait rarement aux autres personnes de son âge, bien que leur compagnie ne la dérangeât pas. Elle parlait peu, mais on la voyait souvent sourire toute seule, la figure levée vers le ciel. Et dans ces moments-là, ceux qui l’observaient avec un regard plus perçant que de coutume croyaient alors la voir briller doucement.
Aël écoutait et observait beaucoup. Elle parlait aussi, mais prononçait peu de mots. C’est pourquoi, qu’on la connût bien ou mal, on lui attribuait, à tort ou à raison, un tempérament réservé. De plus, il était fréquent que sa place en cours fût vide, mais aucun de ses camarades ne pouvait dire pourquoi, bien que de nombreuses hypothèses eussent été formulées à ce sujet. Le plus étrange aux yeux de tous, y compris de certains de ses professeurs, était qu’Aël, malgré ses absences répétées, eût réussi à passer aisément en classe de seconde… alors qu’elle n’avait pas tout à fait treize ans à l’époque. Non, décidément, Aël ne pouvait pas appartenir à ce monde.
Cela faisait maintenant près d’une semaine qu’Aël était de retour au lycée après une absence de quinze jours consécutifs. Si Aël n’avait un jour pas fait un devoir ou manqué un contrôle, aucun de ses professeurs ne lui en aurait tenu rigueur ; toutefois, la jeune fille désirait à tout prix se tenir à jour dans l’ensemble de son travail scolaire. Ses parents avaient bien souvent tenté de la distraire avec autre chose afin qu’elle prît du repos, mais rien n’y faisait, et pour cause, Aël aimait véritablement l’école, et apprendre était sans doute la seule activité en ce monde pour laquelle on la voyait vibrer de bonheur.
Un peu avant la récréation de quatre heures, Aël se rendit aux toilettes. Elle sortait d’une courte séance d’étude au cours de laquelle elle avait pu réviser les différents courants littéraires, ainsi que leurs dates, auteurs, et concepts clés. Ce chapitre, un peu trop théorique, ne l’intéressait que vaguement au premier abord, mais cet intérêt s’affirmait considérablement lorsqu’elle pouvait mettre cette théorie en lien avec un ou plusieurs des nombreux livres qu’elle lisait ou qu’elle avait lus.
Tout en marchant, Aël sentit qu’on la suivait. Mais, elle ne se préoccupa pas outre mesure du garçon qui cheminait derrière elle, du moins, jusqu’à ce que celui-ci n’entrât avec elle dans les toilettes. Elle se retourna alors, prête à lui rappeler qu’il n’avait rien à faire là… puis, se ravisa, prenant conscience qu’elle avait tort. La personne qui se trouvait avec elle était maigre et filiforme, portait des vêtements amples, son visage était carré, ses traits durs, et ses cheveux tout juste assez longs pour couvrir son front et ses oreilles. Mais, bien que son apparence extérieure en eût toutes les caractéristiques, Aël vit tout de suite que ce n’était pas un garçon. Un garçon n’a pas de tels yeux.
Aël entra dans l’une des cabines et y demeura quelques instants. Lorsqu’elle en ressortit, la fille était toujours là, debout face à l’un des lavabos, le regard rivé vers le miroir… auquel elle asséna un violent coup de poing. Si violent qu’elle le brisa. Aël s’approcha doucement. La fille suffoquait. Sans dire un mot, Aël prit doucement sa main blessée et entreprit d’extraire un à un les morceaux de miroir qui s’y étaient fichés. Du moins, les plus gros. La fille sembla vouloir l’en empêcher un instant, mais ne le fit pas. À vrai dire, elle paraissait n’être tout simplement plus dans son corps.
Une fois que ce fut fait, Aël prit la main valide de la fille, et la conduisit à l’infirmerie. Pas encore revenue à elle, elle la suivit comme une automate. L’infirmière acheva de retirer les derniers éclats de verre de la main qui avait brisé le miroir, puis, la désinfecta et l’enveloppa dans un bandage antiseptique. La fille n’émit pas le moindre son ni ne manifesta la moindre douleur lorsque le coton imbibé d’alcool passa méticuleusement sur chacune de ses entailles. Pour être à ce point insensible à la douleur physique, se dit Aël, c’est que sa crise intérieure doit être des plus violentes. Et pour cause : tout chez cette fille, son corps, ses cheveux, ses traits, et même sa voix qu’Aël entendit un peu plus tard, semblait être un emprunt. Cette fille n’était pas elle-même. Elle était empruntée.